Des subventions et des festivals

 In Chroniques

Le jazz, bénéficiaire de subventions

Ce n’est pas un secret, les festivals de jazz existent grâce à de l’argent public. Dans le domaine de la culture, l’investissement financier des collectivités est souvent nécessaire. Ailleurs, dans les pays où le principe de subvention est inexistant ou sporadique, c’est par le mécénat qu’une offre généreuse et alléchante peut émerger. C’est un principe particulièrement intéressant puisqu’il permet à la fois aux musiciens de recevoir une rémunération décente et au public d’écouter des artistes en concert à un prix relativement abordable. Tout cela est bien joli et suppose que personne ne tire démesurément sur les cordons de la bourse.

Dans de nombreuses villes de France, la programmation artistique est assurée par des organisations privées, associations ou entreprises, qui sont aussi les instigateurs de ces événements. Parfois, comme sur la Côte d’Azur, les principaux festivals sont aux mains des pouvoirs publics qui délèguent, sous forme de marché, la programmation à de grandes sociétés de production. Mais à trop vouloir contrôler, n’étouffe-t-on pas la création ?

Je disais donc que l’argent public permettait de combler le manque de rentabilité d’un concert et de vendre les entrées à un prix relativement abordable. Néanmoins, lorsqu’on mesure le prix des places des festivals locaux, peut-on dire que c’est le cas ? Même les tarifs réduits sont prohibitifs. Le jazz, musique populaire… l’a-t-on oublié ? Même les lieux réputés guindés et élitistes proposent des prix ô combien plus alléchants pour élargir leur public.

À qui profitent les subventions versées ?

Qui bénéficie donc de ces subventions ? Aux musiciens en grande partie, mais pas n’importe lesquels. Ce sont presque systématiquement les « gros poissons » qui ramassent la mise, ceux sur le haut du panier. En d’autres termes, ceux pour lesquels la rentabilité est la plus forte sont davantage programmés grâce aux aides financières. Alors bien sûr, les programmateurs vous diront que ces musiciens coûtent plus cher, et ils auront raison, mais doit-on les payer autant avec de l’argent public ? C’est une bonne question. Parce que les autres, talentueux, locaux ou non, plus audacieux et novateurs, restent hors des clous. Les programmateurs et les politiques argueront qu’il faut donner au public ce qu’il désire, qu’il faut être dé-mo-cra-ti-que. Et quand on programme la même tête d’affiche des années durant ? Ne peut-on pas soupçonner une forme de népotisme ? Il me semble que les pouvoirs publics favorisent un microcosme de programmateurs qui sont aussi producteurs ou agents, favorisant eux-mêmes leur écurie et celle de leurs amis. N’est-ce pas entériner gloutonnerie et fainéantise que laisser les choses ainsi ? Et puis, quand on confie un festival à un programmateur déjà à la tête de plusieurs autres événements, salles, radios, etc. ne réduit-on pas le champ des possibles, uniformisant le jazz au rabot ?

Pourquoi l’argent public ne devrait-il servir qu’à rémunérer ceux qui n’ont pas besoin de promotion ? Prenez n’importe quel festival régional et dites-moi combien d’inconnus et de sidemen y sont programmés. Pour donner le change, on fait parfois jouer des artistes du cru, lorsqu’ils ont usé leurs espadrilles dans tous les bars du coin, à jouer tant et plus pour des cachets médiocres, quand ils en touchent un. Diriger un festival, c’est aussi prendre des risques, sinon qui le fera ? Un musicien dont la presse n’a pas encore parlé, ça demande à être poussé, bichonné, mis en valeur pour faire venir du monde, il faut faire autre chose que le mettre à l’affiche, il faut bosser un peu. Il semblerait qu’en France, les musiciens eux-mêmes s’indignent régulièrement de cet état de fait. Pour reprendre les mots du clarinettiste Thomas Savy [1], « pour jouer, il faut soit avoir un album à défendre, soit être un gros poisson américain ».

En attendant le changement

En guise de conclusion, ne peut-on pas espérer un mode d’attribution des subventions culturelles à des projets plus risqués ? Je rêve de découvrir des artistes qu’un programmateur vraiment pro serait allé dénicher tout au fond du bayou. Quant à vous, pouvoirs publics, désirez-vous entériner l’image d’un jazz réservé aux élites ? Le jazz fut populaire, métissé et avant-gardiste, ne l’oubliez jamais, pourquoi donc ne le serait-il plus ?


[1] Francis Marmande, « Gros malaise chez les musiciens de jazz », Le Monde, 13/04/2011

Illustration : Lucas Allman, pexels.com https://www.pexels.com/photo/audience-back-view-band-blur-442540/

alfred spirli jouant de la batterie