Le Balcon. 10 ans déjà.

 In Scénopathie

Le grand gala des 10 ans du Balcon au théâtre de l’Athénée : la pureté du bonheur

Dix ans. Trois directions. Qui disent beaucoup sur Le Balcon et Maxime Pascal. L’envie d’aller de l’avant, de chercher sans relâche, de convoquer les uns et les autres (arts, lumières, sons, images…), de faire jouer ensemble professionnels, amateurs, élèves, d’investir des lieux divers, de questionner compositeurs et partitions, instrumentistes, ensembles, publics… En cette soirée « spéciale », que retiendra-t-on ? Trois œuvres, trois compositeurs, trois configurations instrumentales, à la fois questions évidentes et réponses tout aussi évidentes. De musiciens à musiciens, d’artistes à artistes, certes. Mais aussi de musiciens à publics, de compositeurs à ensembles et à lieux, de musiques à sensibilités, de bonheur à… bonheur.

Frédéric Blondy compositeur, pianiste, improvisateur, emmène les musiciens et leur public sur les chemins de traverse de l’improvisation collective avec Un Trait de lumière incandescent. Les sons, en manière d’avant-musique, sont là dès l’entrée du public et la mise en place des musiciens – mais, au fait, ils étaient aussi là pour accompagner les paroles de Maxime Pascal – avec une bande offrant des sons de « nature ». Avec la graduelle disparition de l’électronique émergent les sons « réels » des instruments : éclaboussures sonores, sons brefs, longs, striés, lisses… Hauteurs, durées, timbres, modes de jeux se succèdent, s’emmêlent, s’enlacent. Les musiciens, s’étant approprié le théâtre, jouent avec leurs instruments – soufflent dans les anches seules des hautbois, dans les embouchures des vents, trillent de leurs seuls doigts sans sons – ou avec le public, surgissant devant lui, l’interpellant… Puis hautbois, clarinette, flûte, trompette et basson investissent la scène et, en demi-cercle, échangent avec leurs comparses demeurés dans l’espace (du) public, avant d’être rejoints par le tuba et le saxophone. Les contrebasses et le tuba se chargent d’une formule, brève, obstinée, sur un squelette dosol tout aussi obstinément rythmé. Elle sera le point de départ et la base, le trait de lumière à partir duquel l’incandescence se fera jour, en un magistral jeu de crescendodecrescendo, porté par le chef (le compositeur lui-même) avec un bonheur perceptible et partagé. Merci !

Les Manifestations de Gérard Grisey, compositeur représentant du courant « spectral » trop tôt disparu, ont été composées en 1976 « pour petit orchestre de débutants ». Trois pièces, trois atmosphères, différentes, complémentaires… La première, Manifestation pour trouver le silence, fait se répondre deux groupes de musiciens sur deux notes-pôles différentes, jouant sur le stable et l’instable, glissant insensiblement de l’un à l’autre : des notes s’échappent des nappes sonores formées par les deux groupes qui se répondent, happant les accents, glissant insensiblement d’un pôle à l’autre, d’un univers sonore à l’autre, d’un groupe d’instruments à l’autre, en un va-et-vient constant, qui cessera sans en avoir l’air, comme ne passant. Lui fait suite une Manifestation pour échapper à la télévision, extrêmement brève, à l’instar d’un haïku, jouant par le souffle sur les sons … et les objets, en l’occurrence des ballons de baudruche (en une manière d’avant-texte à ce qui suivra après l’entr’acte mais, chut, nous n’en sommes pas encore là) qui, éclatant, proposeront un autre son que le souffle… La dernière, Manifestation pour obtenir une aire de jeux joue sur l’idée de lieu. L’aire de jeux n’est pas seulement la scène mais aussi le théâtre (on aime d’ailleurs à imaginer que cette aire puisse différer selon les lieux de concerts). Les jeux sont aussi divers : ils sont tenues (les sons s’y relaient ou pas) ou impulsions sonores ; ils sont hauteurs diverses, aimant à brouiller l’univers précédemment créé ; ils mettent en œuvre divers objets inattendus : carton alvéolé, fragments de polystyrène, tôle ondulant et bruissant au gré des manipulation dont elle fait l’objet… Il s’agit, enfin, de les obtenir : après avoir joué, en crescendo jusqu’au climax de l’obtention, la musique s’arrête brutalement. L’aire de jeux est, finalement, celle qu’offre le public et son lieu d’élection. Elle se gagne. Puis se rend.

Un In C ne ressemble à aucun autre In C. Ne sera jamais le même qu’un autre, même s’il y ressemble beaucoup. Ainsi en a décidé Terry Riley, compositeur phare du minimalisme musical : il s’agit d’une expérience, d’une performance au sens premier du terme. Composée en 1964 « pour divers instruments », cette œuvre-phare de la musique répétitive met en jeu, à tous les égards, l’aléatoire.

Les musiciens – qui aux dires de Maxime Pascal ont peu répété, voyant dans ce moment les possibles, les passés, les futurs et, surtout, le présent – choisissent, en accord avec le chef, qui reste « chef » par son implication tout en partageant avec les musiciens la prise de décision qui fait habituellement sa spécificité – ce dont il est conscient si l’on en croit ses mots en ouverture pour célébrer les retrouvailles avec « les » musiciens qui ont fait/font/feront le Balcon –, le déroulement des événements musicaux. Crescendos, decrescendos, temps strié de sections saccadés ou lisse de nappes sonores non rythmées, de régularité ou d’irrégularité, de formules mélodiques et rythmiques brèves (cinquante-trois), très simples (intervalles égrenés, arpèges) que se renvoient les diverses familles d’instruments… et de voix (masculines dans les loges côté cour, féminines dans les loges côté jardin). N’ayons pas peur des mots, la musique est orgasmique. Et tous participent de ce mouvement joyeux, qui est musique même, bonheur absolu d’être là, tous ensemble, pour participer à cet événement, qui s’achèvera dans un dernier mouvement collectif de lancer-échange de ballons de baudruche qui saura durer une bonne dizaine de minutes : dix ans de bonheur(s), de musique(s), de plaisir(s), ça se partage, ça s’échange, ça rit, ça pleure de joie et d’émotion partagées… et on ne veut pas que ça s’arrête.

Je ne connais, à mon grand regret, le Balcon que depuis peu. Je lui dois quelques-unes de mes belles émotions de ces derniers mois. J’ai eu envie de les faire partager. Confidences pour confidences, c’est en sortant de ma première expérience avec cet ensemble si attachant que j’ai commencé à oser vouloir parler de musique « vivante », moi qui, médiéviste, m’attache plus souvent aux musiques passées depuis longtemps. Et à vouloir partager ce que je ressentais… Pour cela, je ne saurais trop remercier le Balcon. Non plus que trop conseiller d’assister aux événements qu’il propose. Pour avoir enseigné (aussi) en conservatoire, je salue la volonté de faire participer les jeunes ensembles, futurs professionnels (ou pas, mais même dans ce cas, le souvenir sera là, vivant, vivace), les amateurs parfois, le public toujours… Et je les citerai donc tous, parce qu’ils étaient tous là, tous enthousiastes, musiciens, porteurs du projet à part entière :

Les élèves de la classe de Rafaelle Rinaudo : Adèle et Isoline (flûtes), Mireille (clarinette), Camille (basson), Clément (trompette), Garance et Louis (trombones), Ambre (piano), Marie-Kaon (accordéon), Luciole et Alan (percussions), Rachel (mandoline), Adrien, Alba, Mattei et Bradley (guitares), Léna, Élise, Martin, Hector, Nicolas et Adélaïde (violons), Matti et Lotta (alto et violons), Marie-Gracieuse et Jesse (violoncelles), Lucien et Pablo (contrebasses)

Les élèves des ateliers d’improvisation : Adèle (flûte), Maris (hautbois), Mireille (clarinette), Camille (basson), Clément (trompette), Zoé (saxophone) et Albert (contrebasse)

Sans oublier, naturellement, les instrumentistes du Balcon, « avant » et « pendant »… dirigés, toujours avec le même enthousiasme par Maxime Pascal…

On attend les… 11 ans ?

Le grand gala des 10 ans du Balcon, le 30 mars 2019 au théâtre de l’Athénée à Paris.


Fidèle à son objectif exploratoire, Le ventre et l’oreille a voulu mettre en miroir deux articles sur le même sujet, d’auteures aussi différentes que leurs points de vue. La suite dans l’article d’Orianne Hurstel, De l’orchestre, vue sur le Balcon, ndlr.

Photo : Orianne Hurstel