Matter Speaks

 In Listenings

La Matière parle

Il y a certainement une vie sonore des objets et des choses au-delà de nous. Ce qui peut sembler silencieux à nos oreilles ne sera pas nécessairement silencieux dans une autre échelle ou espace-temps. Le gauchissement du bois, cette matière qui s’étire, et se tord et courbe longtemps après que la branche est tombée ou l’arbre a été coupé, il est peu probable qu’on va l’entendre. Mais ce lent mouvement intérieur de la masse solide, ce lâcher-prise jusqu’au niveau chimique, n’agite-t-il pas l’air autour, ne met-il pas en marche des ondes sonores même à un degré infime ? Se peut-il que du matériel d’enregistrement hautement sensible, réglé pour la durée appropriée de l’action, soit capable de capturer le son ? Ou bien, au cœur de l’instrument, la table d’harmonie d’un piano, alors qu’elle commence à se fendre sous la chaleur et la sécheresse, un tel évènement sonore prolongé peut-il à peine être apprécié en soi sauf pour l’écho qu’il anime dans les cordes peut-être. Le fonctionnement de la matière organique, avec sa dynamique complexe, pourrait bien être considéré comme un alphabet proliférant de propriétés sonores insoupçonnées, mais que dire des processus plus simples ?

Hier, après avoir lavé un thermos bon marché et l’avoir renversé dans l’égouttoir, j’ai remarqué ce que j’ai pris pour une faible friture gargouillante d’un signal radiophonique tout près, comme s’il était en train de recevoir un message de très loin. Rien à faire, je ne pouvais pas imaginer d’où venait ce son, quel tuyau ou appareil électroménager ou ensemble d’éléments domestiques pouvait le produire, alors que je me penchais pour l’étudier de plus près. Puis j’ai regardé le thermos, l’ai tourné dans le bon sens, jeté un œil vers le petit peu d’eau au fond. Je l’ai tenu à côté de mon oreille ; évidemment, c’était là que se trouvait la source du son, même si je n’ai rien vu pour l’expliquer. Aujourd’hui, la même comédie, mais le thermos paraissait plus innocent que jamais.

Malgré nos efforts pour l’ignorer, la matière continue de nous parler. Dans le lavage sonore constant des voitures sur l’autoroute, depuis notre point de vue stationnaire et distant, qu’est-ce qu’on entend ? De la friction. Moins la vitesse des moteurs qui se déplacent dans l’espace, je crois, le frottement du caoutchouc sur le macadam tandis que les roues roulent, résonne à travers le paysage, un reflet de notre dérèglement. Toutes les choses se frottent l’une contre l’autre, sur d’autres planètes aussi, n’importe où il y a des forces élémentaires, un soleil, une atmosphère. Nos mains qui caressent le corps de notre amant(e) — est-ce qu’on écoute cela ? probablement pas — et je me demande si, outre le théâtre des gémissements et des murmures, outre le craquement du meuble, saurions-nous entendre juste les sons de peau contre peau ? Entendrions-nous notre peau, et la peau de notre amant(e), leur rencontre singulière ?

Matter Speaks

Surely there is a sound life of objects and things just beyond us. What may seem silent to our ears might not necessarily be silent in another scale or frame of time. The warping of wood, the stretch and twist and bend of the material long after the branch has fallen or the tree has been cut, we are not likely to hear it; but that slow internal movement of the solid mass, that letting go down to the chemical level, does it not stir the air around it, set sound waves in motion even to a small degree? Would highly sensitive recording equipment, geared to the proper duration of that action, be able to capture the sound? Or, right at the center of the instrument, a piano sounding board, as it begins to crack from heat and dryness, that prolonged sound event can hardly be appreciated in itself except for the echo it pushes from the strings perhaps. The workings of organic matter, with their intricate dynamics, might well be considered for a proliferating alphabet of unsuspected sound properties, but what of simpler processes?

Yesterday, after washing a small cheap thermos and placing it upside down in the drainer, I noticed what I thought was the faint gurgling static of a radio signal nearby, as if it were about to tune in a message from afar. I couldn’t for the life of me figure out where it was coming from, what pipe or appliance or conjunction of household elements might be producing it, as I leaned in to investigate. Then I looked at the thermos, turned it right side up, glanced at the slight bit of water in the bottom. I held it to my ear; sure enough, there was the source of the sound, though I still saw nothing that explained it. Today, same comedy, the thermos as innocent-looking as ever.

Try as we might to ignore it, matter keeps speaking to us. In the constant wash of cars over a highway, from our stationary vantage point at a distance, what are we hearing? Friction. Less the velocity of engines moving through space, I think, the rubbing of rubber on macadam as the tires roll along resounds across the landscape, a reflection of our unsettlement. All things rub against each other, on other planets too, wherever there are elemental forces, a sun, an atmosphere. Our hands caressing our lover’s body—are we listening to that? probably not—and I wonder, minus the dramatics of moans and whispers, minus the creaking of furniture, just the sounds of skin against skin, would we know? Would we hear it as our skin, and our lover’s skin, and their singular meeting?


Visuel : Sculpture de Catherine Barles | Photographie d’Emmanuel Desestré.

 

dessin représentant un personnage sombre jouant du piano avec comme partition : recette de pâtes.