Henri Texier “Azur” Quartet : “An Indian’s Week”
J’ai mis à l’épreuve mon ami David. Choisir un album essentiel à ses yeux, celui qu’il emporterait sur une île déserte. Il a choisi Mingus Ah Um, un disque que j’apprécie énormément. Comme il s’est prêté au jeu, je m’y prête aussi.
Un CD, des histoires, quelle histoire !
S’il fallait emporter un disque jusqu’au bout du monde, un seul, ce ne serait pas forcément celui, irrémédiable et flamboyant, qui a le plus compté dans l’histoire de la musique. Et puis, comment ferais-je pour juger de cela ? Ce ne serait pas non plus celui qui m’a le plus bouleversé ni le plus émouvant hommage à la modernité. En revanche, ce serait certainement celui qui m’a le plus dit de l’humanité, de l’inhumain, de la douceur et de la violence, des combats, du lyrisme, de l’amour et du désespoir. Ce serait celui qui m’accompagne depuis si longtemps, que j’en ai saisi la puissance évocatrice. Ce disque, vous l’aurez compris, c’est “An Indian’s Week” de l’“Azur” Quartet d’Henri Texier.
Une semaine d’un Indien
“An Indian’s Week” est l’un de ces disques dont on ne peut exactement cerner les inspirations. Elles sont nombreuses : musiques balkaniques, hard-bop, free-jazz, chanson européenne, bossa nova, ballades, valse. Mais ce foisonnement n’altère en rien la cohérence. Au contraire, tout y est dialogue. Le disque est une merveille d’architecture, bâtie autour de très courts morceaux conçus pour la pièce Divertissements Touristiques de Noëlle Renaude. Dans ce maillage, les compositions peuvent développer à souhait leur singularité plus que si elles s’enchaînaient. Le disque est aussi traversé par les thèmes chers au contrebassiste : voyage et rencontre, l’altérité apprivoisée, mais aussi l’engagement et la révolte (« Indians – Desaparecido », « Don’t buy ivory, anymore! »)
Henri Texier, comme à son habitude, y est discret, essentiel et solide. Sa contrebasse sait se mettre au service de la composition avec humilité et maîtrise. Si elle est ferme dans les graves, elle devient chuchotante et lyrique dans les aigus, comme dans « Don’t buy ivory, anymore! ». Texier sait comme personne jongler de la solidité à la fragilité, avec cet atout de ceux qui jouent aussi d’un instrument à vent : un jeu de cordes comme une voix, un souffle. Bien sûr, il y a la solidité des amis : Glenn Ferris au trombone éléphantesque, Bojan Zulfikarpašić au piano balkanique et agile, nourri de hard-bop, et enfin l’élégant Tony Rabeson à la batterie sobre et hypnotique. Que dire de plus, sinon que les invités y sont aussi essentiels que le noyau du groupe. Louis Sclavis, autre figure majeure du jazz français vient notamment jouer à cache-cache sur « Indians – Desaparecido » dans les brumes d’une rythmique lente. Michel Portal, sensible joueur de bandonéon, dialogue avec le trombone de Glenn Ferris dans « Laguna Veneta », mais aussi « Laguna laita ». À l’unisson, les deux instruments procurent une couleur rare et brumeuse comme un rêve sur la lagune vénitienne. Les deux pièces, partageant thème et énergie, différentes dans leurs improvisations et leurs couleurs, encadrent le disque avec « lundi », ouvrant et fermant le rideau de cette semaine d’un indien imaginaire. Curiosité, dans « Laguna Veneta », Henri Texier cite brièvement Berimbau de Baden Powell et Vinícius de Moraes.
Références
Henri Texier “Azur” Quartet, “An Indian’s Week” — LBLC6558 — 1 CD Label Bleu, 1993
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Lundi
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Laguna Veneta
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Mardi
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Stanislas
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Mercredi
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Cyclosis
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Jeudi
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Indians – Desaparecido
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Simone Signoret
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Vendredi
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Amazone Blues
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Samedi
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Tzigane
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Mâshala
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Samedi soir
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The bridge
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Dimanche
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Don’t buy ivory, anymore!
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Dimanche soir
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Laguna laita
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Lundi
Et pour les amateurs, de longue date ou de fraîche découverte, cet autre album mémorable de Henri Texier, Varech.