Centrafrique : Anthologie de la musique des Pygmées Aka
Il révèle un pan non négligeable des pratiques musicales quotidiennes du peuple Aka. Souvent déroutant à première écoute, ce corpus demande une certaine accoutumance. La lecture du livret aide à ce propos grandement l’immersion dans un univers sonore envoûtant. Envoûtant, parce qu’inhabituel au regard de nos canons esthétiques. Il est probable que les mystères qui entourent les Pygmées depuis Homère renforcent à notre insu le sentiment d’étrangeté à l’égard de ce « petit peuple » (Pygmaios signifie en grec « haut d’une coudée »).
Une expression quotidienne
Ces musiques, essentiellement des chants, prennent place dans la vie sociale des Aka, ils la sous-tendent et sont omniprésents. La chasse, les jeux d’enfants, les funérailles ou les récoltes en forêt sont quelques-unes des circonstances qui donnent lieu à des polyphonies complexes et d’apparence très libre. La plupart de ces chants sont improvisés, mais répondent malgré tout à des règles pré-établies. Cette polyphonie est fascinante et foisonnante. Elle fait appel à de nombreuses techniques comme le yodel, le hoquet, des motifs en ostinato ou l’emploi alterné de chant et de flûte. Cette dernière pratique, appelée hindewhu, est parfois employée par des musiciens hors d’Afrique comme Arto Tunçboyacıyan. La flûte utilisée, taillée dans un rameau de papayer, se nomme mo-beke. Elle n’émet qu’un seul son et s’utilise le plus souvent par deux.
L’écoute attentive révèle des structures presque répétitives, évoluant avec lenteur, comme si ces microchangements pouvaient se faire sans fin. Les motifs de base, qui se répètent souvent tout au long des chants, finissent par disparaître dans la superposition des voix, gommant toute lassitude. La variété des motifs et des contrastes ouvre un monde auditif fort loin du nôtre et pourtant parfois si familier. Simha Arom considère d’ailleurs que ce répertoire « est tout à fait comparable, aussi bien par la complexité rythmique que par les règles qui régissent la polyphonie, à certaines formes savantes qui avaient cours en Europe entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle » [1]. On trouvera une foule d’informations complémentaires en ligne. Malgré une prise de son un peu fluctuante, les enregistrements ayant été faits dans les campements autogérés des Aka, il est aisé de se laisser aller à voyager. Les sons ambiants, loin d’être un désavantage, augmentent la sensation de participer.
Les Aka ont attiré bien des visiteurs. Ainsi, certains musiciens ont baptisé leur groupe du nom de ce peuple, comme le trio belge Aka Moon qui a séjourné parmi eux durant les années 1990. Je comprends tout à fait cette fascination, produite par la beauté rude de ces chants ou par leur mode de vie, mais aussi par un sentiment fait de proximité et de distance mêlées. Je me souviens encore de ma première écoute de Nze-nze-nze, magnifique ronde du grillon, montrant l’habileté précoce des enfants à ces jeux vocaux. L’imitation du chant de l’insecte et le bruit des pas passant devant le microphone m’avaient transporté hors de tout.
Références
Centrafrique : Anthologie de la musique des Pygmées Aka — C561171.72 — 2 CD Ocora Radio France, avril 2016
Enregistrements de 1972 à 1977
Disque : 1
- Kingo ya mo-e
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Wango
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Kokola efese
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Bola Bosombo
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Mongombi (appels de chasse)
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Nzombi (chant pour le retour de la chasse)
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Monzoli (danse après avoir tué un éléphant)
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Epanda
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Angonga — Ekudu moseke
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Evete kele – Mona sumbu – Ma nama dinzamba
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Ngangele
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Eponga mo beva na mokpina
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Longokodi
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Ekpandolo — Mombimbi
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Mo boma (berceuse)
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Ndosi (chant pour l’enfant dont la mère est enceinte)
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Nze-nze-nze (ronde du grillon)
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Kulu kulu (histoire d’un porc-épic)
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Kongo bele (ronde du grand arbre)
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Divoto
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Anduwa
Disque : 2
- Mokondi (consécration d’un nouveau campement)
- Musique pour la danse Ngbolu
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Nduda
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Bobangi
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Nyodi (L’Oiseau)
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Nanga-ningi (Taille-fine)
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Boyiwa (chant de déploration sur le cadavre)
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Dikobo
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Diye
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Apolo
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Koko ya ndongo
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Yaya
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Mbola (1. Version)
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Mbola (2. Version)
À propos du hindewhu
Courte vidéo explicative avec Francis Bebey. Ce musicien du Cameroun explique les principes de base du hindewhu, cette technique mixte qui consiste à utiliser une flûte en alternance avec la voix.
[1] « Les dernières Tribus ». Chapitre consacré aux Pygmées Aka (Michel de Pracontal) Sous la direction de J. F. Held. Flammarion/L’Événement du Jeudi, 1988.