Charles Mingus : Mingus Ah Um
Talk about Mingus Ah Um
Lors d’une récente conversation téléphonique tu me posas cette sempiternelle question qui achève tout mélomane.
— Un disque, un seul ! Celui que tu emporterais sur une île déserte.
Voilà bien Emmanuel et les questions pièges dont il est si friand et use à foison. Méthode radicale pour te pousser dans tes retranchements créatifs mais aussi motiver le sens de l’imagination. La réponse à sa question se devait d’être franche et rapide.
— Mingus Ah Um ! Oui, voici un album dont il est toujours réjouissant de parler tant son éclectisme se veut sans limite.
Plus qu’un album, un rêve éveillé
Dans un manifeste souci de transcender les barrières des genres, Charles Mingus nous offre avec son LP cuvée 1959, une véritable bouffée d’air frais. Une promenade bucolique dans les ruelles de sa majesté le jazz et ses quartiers, tels des îlots qu’ils soient New Orleans, Bop voire Free par certains côtés. Du Mingus plus créatif que jamais, mais avec un petit je ne sais quoi de différent de ses précédents opus tout aussi excellents. Dès les premières mesures de Better git it in your soul le voyage se veut chahuté avec une section rythmique composée d’un Dannie Richmond secondant le Maestro qui par son jeu de batterie me rappelle Elvin Jones. Même époque et mentors prestigieux s’il en est pour les deux frappeurs de toms… Par bien des côtés le fait que les protagonistes restent à leur place confère à ce pic, ce roc cette… (Là je m’emballe), une cohérence hors pair. Faut-il noter les nappes colorées d’Horace Parlan et de son piano funambule vertigineux ? Mais Mingus Ah Um c’est aussi des instants de mélancolie superbe, de douceur âpre, des bonbons sucrés comme Good Bye Pork Pie Hat et le remarquable Fables Of Faubus qui inspira tant Claude Nougaro. À eux deux ces deux titres valent la peine de s’immerger dans ce monumental album. Les souffleurs Booker Ervin et John Andy aux saxophones ainsi que Willie Dennis et Jimmy Knepper aux trombones se montrent tantôt discrets mais également parfois bien présents devant quand le besoin s’en ressent. Sir Mingus invente-t-il la musique de chambre jazzifiée parsemée de Bop pur jus ? Il y a un peu de ça mais le tout est très homogène, évident. S’il est des albums que l’on ne perçoit jamais de la même manière, ce Mingus Ah Um est bien de ceux-là. C’est un disque rare, qui accompagnera vos peines mais aussi vos espoirs. Le rêve est à portée d’oreille.
Références
Mingus Ah Um, Charles Mingus — CL130 — un LP Columbia, 1959. Enregistré au Columbia 30th Street Studio, NYC, en mai 1959.
Contrebasse : Charles Mingus / Saxophones : Booker Ervin et John Handy / Trombone : Willie Dennis et Jimmy Knepper / Batterie : Dannie Richmond / Piano : Horace Parlan
Face A
- Better Get Hit in Your Soul
- Goodbye Pork Pie Hat
- Boogie Stop Shuffle
- Self-Portrait in Three Colors
- Open Letter to Duke
Face B
- Bird Calls
- Fables of Faubus
- Pussy Cat Dues
- Jelly Roll
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