Compost des confins
J’ai pour ce numéro assez particulier pris le parti de fondre une idée d’épithalame à la Perec. À partir de « temps et mouvement ». Un épithalame est une sorte de poème lyrique composé chez les Anciens à l’occasion d’un mariage et à la louange des nouveaux époux. En Grèce Antique, il était chanté par un chœur avec accompagnement de danses. Rassurez-vous, il ne sera pas question de mariage ici ni de chœur mais d’un délire sur la base d’épithalame. Je dis « à la Perec » pour le fait de n’utiliser que les lettres composant « Temps et mouvement », une contrainte en plus. Je disais donc je vais fondre cette idée dans le compost issu de l’extrait de Bergson.
Texte de Bergson
Pourtant la succession est un fait incontestable, même dans le monde matériel. Nos raisonnements sur les systèmes isolés ont beau impliquer que l’histoire passée, présente et future de chacun d’eux serait dépliable tout d’un coup, en éventail ; cette histoire ne s’en déroule pas moins au fur et à mesure, comme si elle occupait une durée analogue à la nôtre. Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. Ce petit fait est gros d’enseignements. Car le temps que j’ai à attendre n’est plus ce temps mathématique qui s’appliquerait aussi bien le long de l’histoire entière du monde matériel, lors même qu’elle serait étalée tout d’un coup dans l’espace. Il coïncide avec mon impatience, c’est-à-dire avec une certaine portion de ma durée à moi, qui n’est pas allongeable ni rétrécissable à volonté. Ce n’est plus du pensé, c’est du vécu. Ce n’est plus une relation, c’est de l’absolu. Qu’est-ce à dire, sinon que le verre d’eau, le sucre, et le processus de dissolution du sucre dans l’eau sont sans doute des abstractions, et que le Tout dans lequel ils ont été découpés par mes sens et mon entendement progresse peut-être à la manière d’une conscience ?
Lettres de « temps et mouvement »
e, m, n, o, p, s, t, u, v,
Soudain dans l’auto-confinement ubuesque, on hérite du temps sans mouvement à la place de ce qui passait les arpents
À jouir l’épandu de cette désertification causeuse, dans l’attente du verre d’eau sans sucre on oublie les célestes écluses. Confinement : situation d’une population animale trop nombreuse dans un espace trop restreint et qui, de ce fait, manque d’air, de nourriture ou d’espace. Le Larousse est clair : c’est ça.
Soudain ce lexique, soie inadaptée me frappe, aurait-on raté une occasion de nous inventer un vocabulaire des écluses ? Je prends le loisir d’y penser et dans le même béant, je me mets à créer cet épithalame autour de « temps et mouvement »…
Le lexique adéquat n’est plus, signe
la musique du silence renaît, poétesse
Comment épouser celle de l’esprit en soi, sagesse ?
J’écris donc en utilisant que les lettres panthéistes, e, m, n, o, p, s, t, u, v,…
matrices de « temps et mouvement »,
neuf lettres outrecuidantes comme autant des espoirs émiés, elles donnent leurs pleins pouvoirs à ce gage naissant. Le délire sensible liberté surgit de l’être ouaté.
« Nous sommes toupets et sommets
Vents et tentes
Vents et tempêtes
Poèmes et poètes
Menus en menus
Nous nommons
Mêmes muses en mots — tempêtes
Nous poèmes
Montons montons
Nous poèmes
Mêmement nommés
Montons
Et nos poètes
Nos ponts
Nos monts
Nettement nomment
Et nous nommons
Nommons nommons nommons
Nommons nos poèmes poèmes
Nommons nos muses poèmes
Nommons nos mouvements poèmes
Nommons nos émeutes poèmes
Nommons nos pépés poèmes
Nommons nos vestes poèmes
Nommons nos envoûtements poèmes
Nommons nos toussotements poèmes
Nommons nos soutènements poèmes
Nommons nos monte-pentes poèmes
Nommons nos ententes poèmes
Nommons nos époussettes poèmes
Nommons nos pomponnées poèmes
Nommons nos vénéneuses poèmes
Nommons nos ventouses poèmes
Nommons nos événements poèmes
Nommons nos mémés poèmes
Nommons nos moutonnements poèmes
Nommons nos moutons poèmes
Nommons nos pestes poèmes
Nommons nos étés poèmes
Nommons nos poupons poèmes
Nommons nos postposées poèmes
Nommons nos meutes poèmes
Nommons nos monts poèmes
Nommons nos sens poèmes
Nommons nos sons poèmes
Nommons nos sonnets poèmes
Nommons nos tempes poèmes
Nommons nos tonnes poèmes
Nommons nos poumons poèmes
Nommons nos vénus poèmes
Nommons nos tutus poèmes
Nommons nos pupes poèmes
Nommons nos têtus poèmes
Nommons nos entêtements poèmes
Nommons nos tomenteuses poèmes
Nommons nos pesées poèmes
Nommons nos voûtes poèmes
Nommons nos vues poèmes
Nommons nos poses poèmes
Nommons nos muets poèmes
Nommons nos têtues poèmes
Nommons nos vesses poèmes
Nommons nos sèves poèmes
Nommons nos pensées poèmes
Nommons nos pensums poèmes
Nommons nos menus poèmes
Nommons nos menuets poèmes
Nommons nos sommes poèmes
Nommons nos sommets poèmes
Nommons nos peu poèmes
Nommons nos sénevés poèmes
Nommons nos nonnes poèmes
Nommons nos vus poèmes
Nommons nos menus poèmes
Nommons nos vétustes poèmes
Nommons nos stops poèmes
Nommons nos postes poèmes
Nommons nos votes poèmes
Nommons nos vétos poèmes
Nommons nos ponts poèmes
Nommons nos œuvres poèmes
Nommons nos novées poèmes
Nommons nos mésententes poèmes
Nommons nos muses poèmes
Nommons nos temps poèmes
Nommons nos mouvements poèmes
Nommons nos étuveuses poèmes
Nommons nos tempêtes poèmes
Nommons nos vents poèmes
Nommons nos muséums poèmes
Nommons nos tue-tête poèmes
Nommons nos noms poèmes
Nommons nos poètes poèmes
Nommons nos émeutes poèmes
Nommons nos pépés poèmes
Nommons nos vestes poèmes
Nommons nos envoûtements poèmes
Nommons nos toussotements poèmes
Nommons nos soutènements poèmes
Nommons nos monte-pentes poèmes
Nommons nos ententes poèmes
Nommons nos mésententes poèmes
Nommons nos époussettes poèmes
Nommons nos pomponnées poèmes
Nommons nos vénéneuses poèmes
Nommons nos ventouses poèmes
Nommons nos événements poèmes
Nommons nos mémés poèmes
Nommons nos moutonnements poèmes
Nommons nos moutons poèmes
Nommons pestes poèmes
Nommons nos étés poèmes
Nommons nos poupons poèmes
Nommons nos postposées poèmes
Nommons nos meutes poèmes
Nommons nos monts poèmes
Nommons nos sens poèmes
Nommons nos sons poèmes
Nommons nos sonnets poèmes
Nommons nos tempes poèmes
Nommons nos tonnes poèmes
Nommons nos poumons poèmes
Nommons nos venus poèmes
Nommons nos tutus poèmes
Nommons nos pupes poèmes
Nommons nos entêtements poèmes
Nommons nos tomenteuses poèmes
Nommons nos sustentes poèmes
Nommons nos vesses poèmes
Nommons nos sèves poèmes
Nommons nos pensées poèmes
Nommons nos pensums poèmes
Nommons nos menus poèmes
Nommons nos menus poèmes
Nommons nos menuets poèmes
Nommons nos sommes poèmes
Nommons nos sommets poèmes
Nommons somptueusement
Nos sous-vêtements poèmes
Nommons tempêtueusement
Nos vêtements poèmes »
Quelle heure d’entourloupe, gracieuseté
Quel bobard de circonstance,
Quel écart de soie
Quelle harmonie reconnectée
Illustration : Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library, 1957 | Douglas Campbell as Oedipus Rex wearing mask in the motion picture Oedipus Rex.