Compost
Il ne s’agit ci-dessous que d’un compost de lettres et nous devons faire remarquer que la composition d’un compost variant selon la matrice mère, on doit s ‘attacher à en subordonner le genre au goût de ceux ou celles pour qui il est apprêté ! Vous, chères lectrices et puis lecteurs ! Dans un besoin de clarté, en subordonner le genre peut vouloir dire dévoiler la chose ! Mais on pourra bien sûr librement interpréter cette nébuleuse expression !
Le compost de lettres a besoin d’une matrice mère. Dans le cas échéant, nous avons sélectionné le quatrième chapitre de Gargantua de François Rabelais. La matrice étant choisie ainsi, il s’agissait de sélectionner les ingrédients de cuisine littéraire de ce chapitre (toutes les lettres donc) et le poème que vous allez lire dans quelques secondes est composé de toutes les lettres de ce quatrième chapitre, ni plus ni moins ! Nous nous tenons prêts cependant à lire tout Gargantua à haute voix au cas où un quidam trouverait une lettre de plus ou de moins dans cet exercice. Juste avant la lecture de ce compost nommé « culte », nous faisons lire ce fameux quatrième chapitre… de Gargantua :
Comment Gargamelle estant grosse de Gargantua mengea grand planté de tripes
L’occasion et maniere comment Gargamelle enfanta fut telle. Et si ne le croyez, le fondement vous escappe. Le fondement luy escappoit une apresdinée, le III. jour de febvrier, par trop avoir mangé de gaudebillaux. Gaudebillaux : sont grasses tripes de coiraux. Coiraux : sont beufz engressez à la creche et prez guimaulx. Prez guimaulx : sont qui portent herbe deux fois l’an. D’iceulx gras beufz avoient faict tuer troys cens soixante sept mille et quatorze, pour estre à mardy gras sallez : affin qu’en la prime vere ilz eussent beuf de saison à tas, pour au commencement des repastz faire commemoration de saleures, et mieulx entrer en vin.
Les tripes furent copieuses, comme entendez : et tant friandes estoient que chascun en leichoit ses doigtz. Mais la grande diablerie à quatre personnaiges estoit bien en ce que possible n’estoit longuement les reserver. Car elles feussent pourries. Ce que sembloit indecent. Dont fut conclud, qu’ilz les bauffreroient sans rien y perdre. À ce faire convierent tous les citadins de Sainnais, de Suillé : de la Rocheclermaud, de Vaugaudray, sans laisser arriere le Coudray, Montpensier, le Gué de Vede et aultres voisins : tous bons beveurs, bons compaignons et beaulx joueurs de quille là. Le bon homme Grandgousier y prenoit plaisir bien grand : et commendoit que tout allast par escuelles. Disoit toutesfoys à sa femme qu’elle en mangeast le moins, veu qu’elle aprochoit de son terme, et que ceste tripaille n’estoit viande moult louable. “Celluy (disoit il) a grande envie de mascher merde, qui d’icelle le sac mangeue.” Non obstant ces remonstrances : elle en mangea seze muiz, deux bussars, et six tupins. O belle matiere fecale, que doivoit boursouffler en elle.
Aprés disner tous allerent (pelle melle) à la saulsaie : et là sus l’herbe drue dancerent au son des joyeux flageolletz et doulces cornemuses : tant baudement que c’estoit passetemps celeste les veoir ainsi soy rigouller.
Culte
Ici, l’amour accompli exagère l’île de la pétition des ventres.
Ici, les cinq glorieux sens en ébullition primaire se passionnent.
Ici, les mondes parallèles illimités s’approvisionnent en patiences palpables.
L’infaillibilité des intelligibles gros palais ne fait pas de doute.
L’indivisibilité du réflexe de Pavlov embastille ce magma, ce cercle.
L’initial signe d’amour en gourmandise acquiesce.
Depuis deux jours les haricots s’embouteillent dans l’eau, nous demandons pardon aux carnivores de les martyriser, mais la purée de haricot doit naître sans sa peau. Il s’agit de les mettre nus.
Groggy. Bougeant aux réalités de la cuisson, j’observe, croissant d’envies. Avec philosophie nos haricots acceptent leur sort, se font dépiauter avec résignation, on fond leur nudité dans une parfumée cuisson, self bicarbonate. La table mise le long de l’île exagérée par cet amour des mets à venir, s’oxygène. Les immigrés de la bande sont venus renaître dans la purée de bonheur, c’est un rendez-vous mensuel, qu’on pourrait nommer l’autre festin du peu gourmand. De l’exil, s’offrir un moment ronron autour des mets tropicaux. Donner son Afrique aux cinq sens fragrances, mais la patience est de mise, car la cuisine des mères, celle qu’on essaie de faire revivre, est une longue succession de minutes à suivre la danse du feu de bois. Quarante-huit heures ! Il reste l’attente de la dernière courbe temporelle. Celle perdant l’oreille de l’affamé qui n’y a pas droit. Broyer du sombre.
Brusquement l’air s’épaissit de fumet laiteux, capiteux. Au signalement du duc des palais, on se dresse très narines brillants baobabs. La langue en flaveurs, faveurs sensuelles, zeste l’île.
Et vas-y que je te malaxe, purée incorporée !
Que ton aspect pâteux est éloigné de l’exquise réverbérée de ta saveur.
Fragrance accompagnée azurée.
Faste bonheur suprême horizon.
Pays du goût ordalique off-shore.
Quiconque t’attrape quitte logis, sa famille, te dresse autel célèbre, se compose ce dessert.
Illustration : Laurent Lafuma