De Yes ! aux Bains macabres. Une reprise, une création : deux manières de (re)voir la légèreté

 In Scénopathie

La programmation du théâtre de l’Athénée se place résolument sous le signe de la diversité. Elle jongle, d’une saison à l’autre, entre concerts intimes et productions plus importantes, dans une recherche constante d’alliance entre les genres musical, théâtral et opératique. Au tournant de l’année s’y donnaient ainsi à voir et à entendre une opérette et un « opéra-polar ». Deux alliances entre texte parlé et airs chantés, au service de deux intrigues ou la simplicité côtoyait le burlesque. Deux jeux, au propre comme au figuré, entre opérette, comédie musicale et tragi-comédie avec, semble-t-il, un objectif commun : revisiter des genres qui gagnent à se faire reconnaître.

Des histoires simples… ou pas

Dans Yes, René Gavard, roi de la nouille habitué à tout régenter, veut contraindre son fils Maxime, jeune indolent-gâté-pourri, à un mariage de raison avec une Chilienne. Pour échapper à cette union avec une inconnue qu’il suppose inintéressante, Maxime décide, sur les conseils du couple Saint-Aiglefin, de faire un mariage blanc. Son choix se porte sur Totte, sa manucure. Ce qui devait arriver arrive : ils tombent amoureux et le père, furieux, n’a de cesse que de les séparer. Quelques à-côtés pimentent ce synopsis : madame de Saint-Aiglefin est en réalité la maîtresse de Maxime ; le père finit par épouser Marquita Negri, la Chilienne, qui se révèle une véritable furie assoiffée d’amour ; César, le majordome, est le candidat communiste du XVIe arrondissement aux élections législatives.

Du côté des Bains macabres, l’histoire est policière, qui met en scène des morts aussi soudaines qu’inexpliquées dans un établissement thermal tenu par un directeur rendu aveugle par l’amour qu’il porte à une jeune employée ; les curistes dansent, un étrange amour passe les frontières de l’au-delà (grâce à Internet), jusqu’à une chute aussi grandiloquente que loufoque – que l’on nous pardonnera de ne pas dévoiler.

Une mise en scène et des décors volontairement minimalistes

La mise en scène simple et originale de Vladislav Galard et Bogdan Hatisi campe les atmosphères distinctes des trois actes de Yes : appartement parisien un lendemain d’orgie pour le premier, lune de miel et rencontres mondaines en bord de mer dans le deuxième, retour au seizième arrondissement pour boucler la boucle avec le troisième. Quelques accessoires suffisent, dont les acteurs jouent à loisir : transats, hamac. Les années Trente, temps de l’intrigue, sont rapidement suggérées (affiches, boas de couleurs descendant des cintres). Du côté des costumes, de l’archétypal amusant dont, encore une fois, les acteurs jouent aisément : Benjamin Moreau brosse en quelques traits précis les personnages : un plumeau pour César, l’homme à tout faire, une cape ridicule (« elle me vient de ma mère ») pour le barbier transformé en bête de scène (mais pas de sexe, au grand dam de la gourmande Marquita Negri), des fourrures pour le parvenu roi de la nouille… Le public est souvent pris à partie et le théâtre lui-même physiquement investi par une impayable Clémentine escaladant les baignoires où elle a vu de l’or.

Dans les Bains, le parti pris de Floriand Siaud et Philippe Miesch est similaire. Les décors, minimaux, ne disent que l’essentiel : du blanc, des baignoires (les thermes des premier et quatrième actes), une chambre blanche (chez Célia, durant l’acte II), une cellule de prison (la garde à vue de l’acte III), un jeu d’étagement (les morts, en costumes blancs, sont à l’étage supérieur) ; des voiles permettant divers jeux d’ombres tout au long de l’action. L’apport vidéo (Thomas Israël) se limite à suggérer, parfois particulièrement heureusement comme dans l’acte II, quand s’affichent les multiples conversations des interlocuteurs de Célia, tantôt, de manière plus convenue, les vagues ou les évocations du passé.

Revisiter le(s) genre(s)…

Les Bains macabres © Nicolas Descoteaux

Dans les Bains, on se prend à jouer au jeu des références qui sont autant de clins d’œil au théâtre, au cinéma, au mythe parfois : Visconti, Fellini, Shakespeare, Molière (avec un Sganarelle qui reste seul en scène à balayer les lieux du crime) y côtoient l’histoire d’Orphée, ici évoquée à l’envers : c’est un mort qui vient dans le monde des vivants chercher sa bien-aimée (on n’en dira pas plus). La musique fait appel à la structuration « classique » des leitmotive : quelques thèmes, mélodies ou timbres, sont associés à certains des personnages. La partition n’est pas révolutionnaire – Guillaume Connesson, qui signe ici sa première œuvre lyrique, s’inscrit dans un courant postmoderne qui ne dédaigne ni la tonalité, ni l’harmonie – mais plutôt de couleurs et de timbres, qui propose souvent une instrumentation en strates successives, parfois presque chambriste en dépit de l’importance des percussions et des cuivres. L’orchestre des Frivolités Parisiennes et le chœur Les Éléments sont à leur affaire et les sutures entre le parlé et le chanté sont toujours très naturelles. C’est parfois un peu long, et le beau texte d’Olivier Bleys, entre lyrisme et minimalisme, souffre parfois difficilement les redites, mais on reste pris par cette histoire improbable dans laquelle « mademoiselle Terminus » joue à loisir – macabre – du flexible de douche… Plus ancienne, la partition de Yes (que l’on doit à Maurice Yvain) fait aussi la part belle à la diversité des timbres et convie les instruments sur la scène. Les deux pianos d’origine sont ici agrémentés d’une contrebasse et de percussions (batterie, vibraphone). Un thérémine, une flûte, deux guitares, un service à thé, les corps des musiciens, s’ajouteront ponctuellement à l’ensemble, complétant un jeu de timbres déjà joliment divers. L’opérette n’est pas en reste de références qui vont chercher du côté de l’expressionnisme, de Joséphine Baker et des comiques américains, sans oublier quelques clins d’œil au surréalisme : on se réapproprie, on revisite, on réinvestit, qu’on se le dise !

… et jouer avec le texte et la musique

Dans les deux productions, les chanteurs jouent le texte, toujours parfaitement articulé mais sans exagération. Les voix sont dénuées d’artifices, volontairement naturelles (mentions spéciales à Clarisse Dalles, Célian d’Auvigny, Mathieu Dubroca et Flannan Obé dans Yes, à Fabien Huyon, Romain Dayez et au fantastique bouffe de Geoffroy Buffière, qui ose un savoureux « cheveu sur la langue » tout à fait conforme à son rôle dans les Bains). Tout le monde bouge avec aisance, visiblement heureux de l’aventure. Dans Yes, chanteurs et musiciens (remarquable Compagnie Les Brigands) s’échangent parfois furtivement les rôles, toujours avec naturel et humour. Les deux fois, on a passé un moment très agréable, on a ri, on s’est amusé de voir les acteurs-chanteurs rire, on en a oublié qu’on était au théâtre, on a perdu le sens du temps… On ne sait pas si c’est une opérette, un opéra-polar, un opéra-comique, un opéra bouffe et là n’est finalement pas la question. C’est ça, le spectacle vivant !

Maurice Yvain, Yes ! au théâtre de l’Athénée, du 19 décembre 2019 au 16 janvier 2020.

Guillaume Connesson, Les Bains macabres au théâtre de l’Athénée, du 31 janvier au 6 février 2020.


Illustration principale : YES ! © Michel Slomka