Étonnant, non ?

 In Bibliofolie

« Ti ti ti tiiiiing ! Ti ti ti tiiiing ! », goguenard et le sourire en coin, le visage de cet homme dont je ne connais pas encore le nom oscille sur le balancier d’une comtoise. Il est 20h30, je résiste encore quelques instants à l’injonction parentale du coucher, une petite minute, à peu de chose près, mais quelle minute ! Cette « Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède » a éclairé mes fins de journée d’enfant de cet humour dont je ne saisissais qu’une part infime, mais surtout de ces saynètes absurdes qui me rassuraient (les adultes aussi font des trucs stupides !).

Ce fut mon entrée en religion desprogienne, laquelle, s’il nous a quittés bien trop tôt, ne m’a jamais quittée. Plus j’avançais en âge et plus je découvrais l’héritage précieux et sombre de ce saltimbanque de l’esprit.

C’est donc avec d’autant plus d’émotion, de joie et de plaisir que j’ai découvert tout récemment un de ses secrets, une de ses marottes, un as caché dans sa manche à air, bref, que j’ai pu lire ses chroniques culinaires. « Encore des nouilles » – on imagine le ton badin avec lequel il prononçait ces mots – était le titre qu’il avait choisi pour sa contribution au magazine Cuisine et Vins de France entre septembre 1984 et novembre 1985.
Une chronique qui fit hurler bien des chantres du bien-penser et du bien-boire qu’était la majorité des lecteurs de ce magazine à l’époque, mais qui n’en a que plus de saveur.

Amateur de bonne chère on l’imagine, mais très grand connaisseur de vins, on le sait moins : Pierre Desproges possédait une cave de pas moins de mille bouteilles, très dotée en bordeaux (dans l’air du temps de l’époque), mais aussi de graves, grands bourgognes blancs et champagnes, sans oublier une touche de Val de Loire.

Grâce aux éditions Les Échappés (émanation de Charlie Hebdo), ces chroniques ont été regroupées il y a quelques années dans un petit volume aussi délicieux qu’irrévérencieux, joyeusement assaisonné des dessins de Catherine Meurisse, Luz, Riss, mais aussi des regrettés Cabu, Charb, Wolinski et Tignous.

Un plaisir de l’œil et du palais à déguster sans modération, que les plus téméraires pourront poursuivre en cuisine autour des recettes expérimentales desprogiennes, du « Cheval-Melba » au « Pot-au-feu Marie-Croquette », à ne pas laisser traîner aux mains d’une assistante maternelle épuisée.


Références

Pierre Desproges, Encore des Nouilles (Chroniques culinaires), Les Échappés, 2014, 14,90€.

Pour se régaler encore davantage de Desproges envoyant la sauce, on ne saurait que trop vous recommander :

  • de filer dans votre librairie indépendante préférée retrouver tous ses textes en collection Points Virgule (Seuil) ;
  • le site ina.fr, pour les archives de Cyclopède, des Flagrants délires, et autres sketches mémorables ;
  • Le site officiel de Desproges : desproges.fr
  • Deux ouvrages très différents, choix absolument subjectif et contestable :
    • Desproges par Desproges, éditions du Courroux, fondées par sa fille Perrine.
    • « Je suis un artiste dégagé » : l’humour, le style, l’humanisme, de Florence Mercier-Lecat et Anne-Marie Paillet (dir.), aux éditions de la rue d’Ulm.

 

Jakob Le balcon