Gogol revu par Ronan Rivière : un nez masqué en musique au Théâtre 13

 In Scénopathie

Quand on va voir Le Nez – adapté pour le théâtre par Ronan Rivière –, on apprend quantité de choses. Comme ce que sent le nez d’un fonctionnaire (la bergamote). Ou que « quelque chose en moins, c’est pas comme si c’était quelque chose en plus, ça se voit moins ». De fait, si l’on ne sait pas comment était le nez de Kovalev quand il était encore au milieu de son visage, on ne peut que constater qu’il est… imposant – et de plus en plus au fil du spectacle – quand il a pris son indépendance en passant, on ne sait comment, par l’intérieur d’un pain. Une telle indépendance qu’il en vient d’ailleurs à tenir des propos politiquement tout à fait incorrects, puis à flirter avec la fiancée de son possesseur, au grand dam de celui-ci qui tente par tous les moyens (objets trouvés, médecin puis, quand le nez se montre enfin, houspillements et cajoleries tour à tour) de le récupérer.

Une truculence surréaliste… et musicale

Le jeu simple et naturel des acteurs sert la truculence du propos avec une distanciation qui fait plaisir ; s’y ajoute très heureusement une musique composée pour l’occasion par Léon Bailly, qui a déjà composé pour les projets de la troupe, notamment pour Le Double que j’avais eu l’occasion de voir l’année dernière. Olivier Mazal, l’instrumentiste de la soirée, jongle entre épinette et orgue mais en respectant les touchers si différents qu’il convient d’adapter à l’un et à l’autre instrument. La musique se fait l’écho des situations, tantôt toile de fond du discours, tantôt intermède lors des changements de décors. Inquiétante ou drôle et dansante, elle s’adapte au texte sans redondance inutile, comme un soulignement léger mais dont on peine à imaginer, a posteriori, l’absence.

« De telles histoires, ça arrive ; c’est rare, mais ça arrive »

Les décors d’Antoine Milian suggèrent plutôt que disent cette histoire « rare » et son environnement variable : pont, table, chaises, lit évoquent tour à tour intérieurs ou extérieurs, cuisine du barbier et de sa femme, cabinet de médecin, chambre de Kovalev, ville sillonnée en tous sens par le nez semeur de zizanie et ses poursuivants divers.

On rit, souvent (la scène du bureau des objets trouvés est une perle absolue) ; on s’émeut, aussi, de ce divorce corporel inattendu ; on est soulagé, enfin, par la conclusion heureuse de cette fable surréaliste et cocasse. Bref, on passe un excellent moment, entre mots et sons, à la fois drôle et délicat. Du plaisir. Que demander de plus ?

Le Nez de Nikolaï Gogol | Adaptation de Ronan Rivière | au Théâtre 13 (Jardin) par la Compagnie Voix des Plumes, 8 septembre au 11 octobre 2020


Photographie : Pascal Gely