Incompréhensible Compréhension (Incomprehensible Understanding)

 In Listenings

Aussi naturel que cela soit, écouter demande un certain effort. Comme marcher ou parler — à ceci près que, pour ces deux-là, on peut y parvenir sans prêter attention. Écouter, si c’est d’une façon active, est faire attention et même s’aventurer à s’engager. L’effort se sent d’autant plus lorsqu’on s’engage dans une autre langue, une langue apprise après l’enfance et qui donc toujours brandit ses obstacles. Ainsi, lors de notre récente visite à Buenos Aires, j’écoutais énormément, ce qui ne me fatiguait pas autant que de maintenir mon esprit bourdonnant et bouillonnant.

Parmi tant d’autres choses, j’ai donné là trois conférences, ce qui voulait dire non seulement écouter davantage mais surtout écouter en public. Après tout, parler est impossible sans écouter. Mon espagnol n’est pas mauvais, mais on peut quand même se poser des questions. Deux des conférences, données dans des universités, étaient presque des dialogues : dans les deux cas, une écrivaine porteña m’aidait à orienter mon discours avec des questions. Certes, rien de tout cela n’est extraordinaire, sauf que pour moi, Américain élevé (comme la plupart) dans une seule langue, écouter d’autres langues n’a jamais été une habileté prisée par ma culture natale.

En fait, c’est comme ça que l’on quitte son île, en écoutant. Tout ce que j’avais en tête, ce que je comptais dire lors de ces conférences à Buenos Aires, avant de m’asseoir dans ce fauteuil, devant les gens, devait être reconfiguré dans l’instant sous la forme d’une réponse à une question. Donc, la question était comme une porte qui s’ouvrait et l’écouter me transportait à travers cette porte. Tout autour de nous l’air, la terre, la mer grouillent de questions, si ce n’est qu’on ne peut pas les entendre, heureusement, ça serait trop. Écouter les fait entrer une par une, ou bien en groupe, dessinant une voie en avant hors de nous, en direction du monde. D’une manière ou d’une autre, écouter rend les questions audibles, comme une voix dans la foule, en ce sens qu’elles prennent forme dans notre conscience lorsque nous nous rendons compte que la voix pourrait bien être en train de s’adresser à nous. Pour que les questions traversent une autre langue et nous atteignent, ou même pas des questions mais le simple accompagnement d’une voix, notre écoute oublie ce que nous ne savons pas, même que nous venons d’autre part. Toute communication est imparfaite, il se trouve, comme nos proches continuent de nous le rappeler. Et parfois, nous devons braver une grande distance pour comprendre ce qui est en train de se dire.

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Natural as it may be, listening takes some effort. Like walking or talking—except those can be done without paying attention. Listening, if in an active way, is paying attention and even venturing to engage. The effort is felt all the more when engaging in another language, one learned after childhood and thus always brandishing its obstacles. So, on our recent visit to Buenos Aires, I was listening up a storm, which didn’t tire me out so much as keep my mind buzzing and busy.

Amid everything else, I gave three talks there, and that meant not just added listening but listening in public. Talking, after all, being impossible without listening. My Spanish was pretty good, but still one wonders. Two of the talks, in university settings, were almost dialogues: on both occasions, a porteña writer helped guide my talk with questions. Of course, none of this is unusual, except for me as an American raised (like most) in a single language—listening to other tongues was never a skill prized by my native culture.

In fact, that is how you get off your island, by listening. Whatever I had thought to say at the events in Buenos Aires, prior to sitting in that chair there in front of people, had to be reconfigured in the moment as a response to a question. So, the question was like a door being opened and listening carried me through that door. All around us the air, the land, the sea is teeming with questions, except we cannot hear them, fortunately, it would be too much. Listening draws them in one by one, or in clusters, sketching a path forward out of ourselves, out into the world. Somehow listening makes the questions audible, like a voice in a crowd, in that they take form in our consciousness as we become aware that the voice may well be speaking to us. For the questions to traverse another language in reaching us, or even not questions but the simple accompaniment of a voice, our listening forgets what we do not know, even that we came from another place. All communication is imperfect, it turns out, as those closest to us will continue to remind us. And sometimes we have to brave a great distance in order to understand what is being said.


Illustration : Red telephone | Cristina Arriaga : https://www.pexels.com/@cristina-arriaga-1131208 | Traduction : Jason Weiss, revue par Orianne Hurstel & Emmanuel Desestré

Le pianiste lors de son concert salle Cortot à Paris