La Chaloupe et ses fritons

 In Resto

Ce matin, on a eu envie d’aller à la plage pour y ramasser des trouvailles. On s’est déjà fait des sessions de ramassage de galets qui suggèrent une forme de « groins ». Avec deux trous assez rapprochés pour imiter des narines. Le plaisir de poser pour la photo avec, apposés à son visage, ces faux-nez minéraux. Avec des tendances plutôt canines, bovines, squelettiques et des dimensions rocambolesques. Un masque fabuleux éphémère, un loup pour nez, la lourdeur de la pierre en plus, à tenir soi-même. On est friand de trouvailles. Avec la naïveté de découvreurs de trésors, l’inexpérience de l’émerveillement du chercheur de fabuleries, et l’envie furieuse de nettoyer la plage, à l’aide de gants et de seaux, bien emmitouflés dans nos habits d’hiver, on arrive à la plage, marée descendante vers 12 h. Il fait un vent à décorner les bœufs, cinglant, le ciel est chargé de menaçants nuages lourds. On s’y colle. On ramasse. On trouve un tas de trucs artificiels intrus dans les galets. Des morceaux de plastique de toutes tailles, en tous genres, de toutes les couleurs, du polystyrène en pagaille, des bouteilles d’eau dont le plastique a été durci par l’eau salée, des conglomérats emmêlés de filets, boutes, fil de pêches, des talons de chaussures, une p’tite voiture, des mouchoirs, emballages de serviettes hygiéniques, des bribes de pneus, des bouteilles d’huile de graissage, des stylos, une boîte de nouilles asiatiques anglaises à mettre au micro-ondes, des bouchons en liège (peut-être le seul objet qui soit lié avec une activité festive et romantique à la plage), etc.

Le seau se remplit en même pas 20 minutes. C’est flippant. Vider le seau. Quand on ouvre la poubelle, on s’aperçoit que d’autres ramassent aussi les ordures, ça fourmille de résidus renvoyés par la mer. Comme on est des bleus en la matière, on a aussi pris pour des déchets les coques vides d’œufs de raie avec leur étrange aspect proche d’un thermoformage en plastique noir. Mais l’objet champion, celui qu’on ramasse le plus à tous les coups, ce sont des bouchons plastiques de bouteilles. Allant des bouchons de fioles alu de compotes à boire, à la bouteille de lait, de jus, d’eau, y’en a de toutes les tailles, formats, couleurs. Et j’ai pas fait le tour. Ça fout les boules. Quand je pense à l’écart de l’imagerie collective romantique de la belle bouteille en verre jetée avec un message, bien bouchonnée et qui traverse les océans pour d’autres contrées… Que des ordures… Engloutis dans la mer ? L’embourbant ? Asphyxie. Ras-bord saumâtre. Le « trésor » d’aujourd’hui pour demain.

Ça fait 40 minutes qu’on remue dans les galets. Ça meule sévère, on se caille les miches, on a la goutte au nez. Il se met soudainement à tomber un grain assez mouillant, imprégnant. On décide de remonter vers la jetée pour se mettre à l’abri en courant. On s’engouffre dans La Chaloupe, le seul baresto ouvert de la jetée. La Chaloupe fait l’angle avec une ruelle, c’est vitré sur deux côtés en simple vitrage. Y’a 5-6 tables maxi, un comptoir pour payer. C’est l’heure de bouffer, il est 13h40. Alors ça fleure bon l’animation de fin de plat du jour à l’intérieur. Il reste une table, la nôtre ! On est accueilli chaleureusement. Le serveur aime de toute évidence son boulot. Parler, conseiller, servir, égayer tout ça, tailler la bavette avec le chaland qui chaloupe, et avec ses collègues. C’est son truc. Ça réchauffe ! Ils servent jusqu’à 14h et nous font sentir les bienvenus. Mais faut quand même se magner de commander. Autour, des ouvriers et un couple un peu coincé d’un certain âge, bon chic bon genre, qui chuchote. On y choppe pas une bribe de conversation même en essayant de lancer une oreille à leur converse alors qu’ils sont à 60 cm. Y. s’assoit face à la mer, moi face intérieur avec vue sur un miroir qui prend tout le mur et qui agrandit la pièce. Comme ça, je vois aussi la mer. On se prend un apéro pour se réchauffer.

La commande. Y. choisit le burger vegan, avec la portion de frites. Même si un menu comporte que deux plats, je traîne, j’arrive jamais à me décider. Avec la bouffe, impossible à renoncer à quoi que soit. S’ajuster sur ses besoins, ses envies. Pas que ça soit un problème de riche, parce que c’est pas mon cas, mais je sais jamais quoi choisir et ce dans n’importe quel domaine de la vie. L’hyper achalandage, pour moi c’est vraiment l’enfer. Je peux perdre du temps dans ma vie à cause de choix aussi insignifiants que futiles. Des fois 20 minutes à réfléchir, peser le pour/le contre, savoir si je vais pas m’endetter rien que pour une boîte de haricots verts ou si je peux me permettre une folie en achetant des haricots verts en bocal en verre plutôt qu’en boîte, de toute façon cueillis à la main par une main-d’œuvre sous-payée. Franchement c’est pas la vie. Je ne trouve pas le moyen de m’offrir les moyens alternatifs. Un peu coincée. Pour les plats de resto, c’est le souci inverse, comme une affamée, on a envie de tout croquer, goûter à une infime partie de chaque plat qui donne envie. Encore une fois c’est la même barrière, je choisis en fonction du budget. Y’en a au resto pour qui le critère de choix c’est de prendre ce qu’il y a de plus cher. Ils se font le truc offensif avec entrée genre la douzaine d’escargots, s’ensuit le plat avec le florilège de fruits de mer, la part de frometon pour finir sur le carrousel des desserts, lesté par un ou deux digeos ; le tout arrosé de pinard. Bouffer version seigneur dehors pour rentrer chez soi et bouffer un simili brie premier prix payé le prix d’un véritable brie de Meaux vieux. Moi je suis plutôt la dépense-petit-étriquée. Enfin c’est comme ça que je me perçois. Ça me fout les boules. Si j’ai accepté déjà la perte comme quelque chose d’efficient, le renoncement c’est autre chose. CHOISIR. ICI. Le serveur m’aiguille sur les Poutines à la Normande… au camembert. Ça tombe bien, je connais pas. Jamais mangé.

Ça arrive à table. J’ai un gamellon, un p’tit marmiton tout fumant. Ça grouille là d’dans, ça fume. Le fumet délicieux. Je regrette un peu. J’imagine déjà le lest de trop après bouffé. L’indigestion. Le surgras, le grolestérol, foutu truc de la société du jambon. Y., lui, a toujours son burger-frites qui depuis le temps que je larmoie sur mon sort doit être tout froid. Poutines-Frites // Frites-Poutines, de quoi parler en premier ?

Les Poutines sont délicieuses, la générosité est au rendez-vous, y’a de l’oignon à foison, du lardon en veux-tu en voilà, du jambon sec au rendez-vous, au nombre de 2 tranches mesdames-messieurs, de la sauce brune en louchette, donc du pinard, du frometon fondu, du claquos, de l’emmental, c’est chaud, ça brûle, outch, chhhffffff, du friton mais dans la sauce. Dans la sauce ! La sauce, le seul moment où je me dis : merde ! La frite est molle. Peux pas goûter la frite. Pas de croustillant, du mou. La frite n’est pu une frite… mais c’est drôlement bon. Je sens qu’elles sont calibrées, je n’ai aucune idée si elles sont fraîches ou s’il s’agit de vieux fritons. La question me traverse l’esprit 2 secondes, mais je bouffe, c’est chaud, c’est bon. Je laisse le moment passer. La gamelle est conséquente. Pendant que je bouffe, Y. détaille ses frites : dorées avec leurs peaux, fondantes. Bonne tenue. Épaisses, de bon calibre, servies façon Fish & Chips, dans un cornet de papier imprimé façon journal. Elles ont un « goût de légume » donc de pommes de terre, sans sel ni sauce. Je les ai goûtées. Je les aime bien. Ce qui accroît le questionnement sur ce choix de poutines succulentes qui sont des frites molles imbibées. Mais je bouffe, c’est bon, j’ai du pain, une cuiller, l’outre commence à être remplie. Je mâche, je sélectionne : fritons, sauce, pain, j’évite maintenant les lardons. Reste une tranche de jambon sec, je cale. Le moteur s’arrête. J’ai assez mangé. C’était chaud, je suis pas plâtrée. C’était gourmand, digeste et calorifuge.

On est les derniers clients. Il est 14 h bien tapées.

Bonus : Anecdote de la baleine. On ratche avec le serveur. Je pose des questions au serveur sur tout et rien. Il en vient à nous raconter qu’il a pu filmer avec son portable une baleine à à peine 400 du front de mer. Qu’en postant la vidéo sur les réseaux sociaux, faisant un grand nombre de vues, ça a attiré une foule de personne, suite au passage de la vidéo dans au JT d’M6. Et des mois après, des clients appelaient pour réserver une table au restaurant où y’a la baleine…

Nadège Adam et Yvon Ôboa