La SF est-elle soluble dans le rock ?

 In Chroniques

pochette de l'album Flying Teapot de Gong

À Roland Wagner, grand rocker de SF devant l’Éternité

Pour écrire un article sur l’influence de la SF dans le rock (non l’inverse, entendons-nous bien), il y a deux approches possibles : soit jouer l’érudit et tenter — en vain — d’être exhaustif, se lancer dans des recherches approfondies, consulter des bases de données infinies, écouter des centaines de morceaux, déchiffrer des kilomètres de paroles, citer quantité de groupes obscurs ayant un jour laissé échapper une vague référence science-fictive, bref, faire dans le chiant et le frustrant, parce que j’aurais inévitablement oublié telle œuvre majeure de votre discothèque ou pas assez parlé de cet artiste que vous adorez. Soit — vu qu’après tout, je suis auteur, lecteur et amateur de SF, que j’ai failli être musicien et que le rock au sens large est ma seconde mamelle —, parler plutôt de mon expérience en ce domaine, raconter comment le rock et la SF se sont si bien mêlés dans ma culture personnelle. De plus, je pourrais m’étendre sur les groupes chers à mon cœur, en toute partialité et subjectivité…

1969, « Mettez le cap sur le cœur du soleil » et envoyez Armstrong sur la Lune

La SF, je suis tombé dedans quand j’étais petit. Un jour où, cloué au lit par une rougeole, je n’avais plus rien à lire, mon père m’a rapporté trois romans de SF dénichés chez un bouquiniste. Parmi eux, il y avait Le Sang des astres de Nathalie Henneberg. Ce fut une grande claque littéraire. J’avais huit ans, un univers incommensurable s’ouvrait sous mes yeux éblouis. Dès lors, le monde de la littérature s’est scindé en deux : il y avait d’un côté la Science-Fiction, et de l’autre tout le reste, dont la littérature dite « sérieuse » qui avait beaucoup moins d’intérêt à mes yeux.

La découverte de la musique allant de pair avec cet univers-là s’est opérée plus tard, vers l’âge de 14 ans. Avant, ma culture musicale était essentiellement celle de mes parents — jazz et classique — avec mes albums de gosse (Le Petit Prince raconté par Gérard Philippe…). Le rock — la pop, comme on disait en France à l’époque — était encore un brouhaha lointain, étonnant et tentateur, mais assez indistinct, parfois capté à la radio.

Puis le rock s’est infiltré à la télé. À l’époque, c’était Pop 2 je crois, une émission furtive animée par Patrice Blanc-Francard. Je suis tombé dessus — dedans, plutôt — tout ouïe et tout ébaubi. J’y ai vu Pink Floyd. Ce fut une nouvelle grande claque, visuelle et sonore.

Pour mon quatorzième anniversaire, mon oncle, ne sachant trop quoi offrir à l’ado que j’étais devenu, a eu la bonne idée de me filer un billet de 50 francs en me disant d’aller m’acheter ce que je voulais. J’ai couru au magasin de disques du coin et j’en ai rapporté entre mes mains tremblantes Soundtrack From The Film “Morede Pink Floyd. La pochette très psychédélique m’avait attiré, ou bien c’était le seul qu’il y avait, je ne sais plus, enfin je l’ai écouté en boucle tout l’après-midi.

Peu de rapport avec le sujet qui nous occupe, me direz-vous : More est l’un des rares albums de Pink Floyd sans une once de SF, vu que c’est la bande-son du film de Barbet Schroeder.

Mais j’ai acquis promptement (pour autant que me le permettait mon argent de poche) d’autres albums de Pink Floyd, où j’ai découvert, comme une sorte d’évi­dence, des titres très en rapport avec ma culture SF déjà bien développée : « Astronomy Domine », « Interstellar Overdrive », « Set The Controls For The Heart Of The Sun » … Ça y était, la SF avait son son, ma culture de prédilection s’enrichissait d’une dimension acoustique, et non des moindres.

J’ignorais que les membres de Pink Floyd n’étaient pas des pionniers, que le terrain avait été exploré avant eux, au début des années 1960, par certains groupes comme les Ventures, les Tornados ou les Spotnicks (qui s’habillaient en astronautes de série Z), célébrant l’en­volée des premiers satellites ; que dès 1966, dans Freak Out!, le premier album des Mothers Of Invention, Frank Zappa citait comme sources d’inspiration (entre autres) Cordwainer Smith, Aldous Huxley, J.G. Ballard et Theodore Sturgeon ; que Jimi Hendrix s’était inspiré de Philip José Farmer pour « Purple Haze » et Jefferson Airplane de John Wyndham pour « Crown of Creation » ; qu’en 1967 les Rolling Stones étaient partis à 2000 années-lumière de chez eux (« 2,000 Light Years From Home »)… Bref, que la SF s’était déjà glissée dans le rock depuis une dizaine d’années, coïncidant en gros avec les débuts de l’ère spatiale.

1969, c’est l’année où Neil Armstrong pose le pied sur la Lune, ce fameux « grand pas pour l’humanité » où mes parents m’ont réveillé à 4 heures du matin pour le voir en direct. (J’ai été déçu : la SF m’avait déjà emmené bien plus loin…)

1969, c’est une grande année pour le rock en général, avec la sortie de moult œuvres majeures et fondatrices — dont le fameux (prémonitoire ?) « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson, et sa pochette bien loin du « flower power »… Dans le domaine qui nous intéresse ici, 1969 voit éclore un certain nombre de groupes qui vont largement recourir à la SF comme source d’inspiration : Gong, Magma, Tangerine Dream et la « Cosmische Musik » allemande, Blue Öyster Cult, Yes, Genesis… C’est l’année où nos joyeux Beatles s’offrent une virée en sous-marin jaune (Yellow Submarine) et où Pink Floyd décolle avec l’album live d’Ummagumma, longues et planantes litanies de ce qu’on n’appelait pas encore du space-rock.

Mais c’est en 1969 que naît Hawkwind…

 

pochette de l'album Magma

Magma, Gong, Hawkwind : la SF prend le pouvoir

J’avoue que je suis passé un peu à côté de Magma. Tout de noir vêtus à une époque où fleurissaient les couleurs, c’était bizarre. Leur griffe rouge agressive, limite louche. Leur musique de virtuoses, très complexe, sans concession aucune aux mœurs ou goûts de l’époque, plutôt influencée par le free jazz (Coltrane) me laissait assez froid. Quant aux textes des « chansons », déjà qu’avec l’anglais j’avais du mal, alors quoi penser de ceci :

« Hortz fur dëhn štekehn wešt / Hortz zï wëhr dünt da hertz / Hortz da felt dos fünker / Horst zebëhn dë geuštaah / Hortz wïrt tlaït üts mïtlaït… »

Non, ce n’est pas du teuton médiéval, c’est du kobaïen. De la planète Kobaïa. Là d’où vient Magma, des Terriens dissidents émigrés et en conflit avec la planète-mère, comme l’indiquent les titres de leurs albums : Theusz Hamtaak (Le temps de la haine) et Wurdah Ïtah (Mort à la Terre), ou encore Attahk ou Mekanik Destruktïw Kommandöh (là, on comprend). Trente ans plus tard, Magma n’aurait pas fait tache dans la masse noire des groupes industriels. Mais en 1970, en plein « flower power », le choc est rude…

En revanche, j’ai de suite été séduit par le premier album d’Hawkwind, paru lui aussi en 1970, bien que la pochette (des espèces de lézards en feuilles mal dessinés) et l’harmonica du premier morceau (« Hurry On Sundown ») laissent peu présager de ce qui allait se passer ensuite.

Ce qui allait se passer ensuite, c’était l’émergence du plus grand groupe de rock SF de tous les temps, une supernova dans ma galaxie SF personnelle qui allait exploser brutalement avec X In Search of Space en 1971. Ça c’était du space-rock, du vrai, avec des intros délirantes, des finaux époustouflants, de longues litanies cosmiques, des synthés pleins de bruits bizarres, et des titres fleurant bon l’espace profond, les maîtres de l’univers, les seigneurs de lumière, les enfants du soleil et tutti quanti, le tout sur des rythmes plutôt lourds et une base assez heavy metal, quand même. Bien loin des planeries synthétiques qui commençaient à pointer outre-Rhin… Un fan a relevé plus de 100 chansons d’Hawkwind ayant un rapport direct avec la SF ou la fantasy. Il faut dire qu’ils ont su s’entourer : d’abord de Nik Turner, parolier-saxophoniste très branché SF et autres bizarreries, puis de Robert Calvert, poète anglais lui aussi fort versé dans la chose, enfin et surtout de Michaël Moorcock, dont les textes apparaissent dès Space Ritual, leur fameux live de 1973 (« The Black Corridor », « Sonic Attack »). Il deviendra un collaborateur à long terme, culminant dans Warrior on the Edge of Time (1975), où l’on entend Moorcock lui-même déclamer ses textes dans plusieurs morceaux, et qui aurait pu quasiment être la bande-son d’un film sur Elric ! Lequel Moorcock a eu lui-même son propre groupe, The Deep Fix, épaulé par plusieurs membres d’Hawkwind et dans lequel il donnait de la voix et de la guitare, qui a sorti en 1975 un album évidemment d’inspiration SF, The New Worlds Fair, suivi par deux singles en 1980 et 1982.

Après cinq albums magistraux (X In Search Of Space, 1971, Doremi Fasol Latido, 1972, Space Ritual, 1973, Hall Of The Mountain Grill, 1974 — magnifique illustration d’un vaisseau spatial échoué dans un marais — et Warrior On The Edge Of Time, 1975, avec sa pochette en forme de bouclier), Hawkwind parodie en 1976 une couverture du magazine de SF américain Astounding sur la pochette de leur album Astounding Sounds, Amazing Music, mais le personnel a changé, la musique se fait plus légère et la connotation SF moins présente avec juste deux morceaux, « The Aubergine That Ate Rangoon » et « Chronoglide Skyway ». Le ton se veut plus humoristique et second degré, mais ça ne leur convient pas, à Hawkwind, ce genre de subtilité. C’est là que j’ai décroché. Pour moi, Hawkwind, c’est du space-rock rugissant dans des fusées à gros boulons qui pètent le feu ; faire dans le subtil, la pop et la parodie, ça ne le fait pas du tout, vu qu’ils sont déjà une forme de parodie par eux-mêmes, si l’on veut rester objectif et les considérer au second degré. Mais après les avoir vus en concert (en 1975, époque bénie de Warrior…), on jette le second degré aux orties et on se prend tout dans la gueule sans réfléchir — tout comme un concert de Rammstein actuellement, par exemple : si l’on essaie de garder quelque distance, la magie ne fonctionne plus.

Troisième groupe de la décennie à revendiquer le titre de « plus SF et plus délire que moi tu meurs » : la joyeuse bande de freaks de Gong, avec leur planète Gong (bien sûr), leur théière volante et leurs « lutins à tête d’herbe » (si l’on traduit littéralement Pothead Pixies). Après un Magick Brother (1969) qui fleure bon le hippie de bon aloi et toutes les substances qui vont avec, une ingestion roborative de Camembert Électrique en 1971 leur donne la vision fulgurante de la planète Gong peuplée de petits bonshommes souriants à la tronche de pétards chevauchant des théières volantes. (Bon, il devait aussi y avoir quelque chose dans le thé…) Bref, tout l’opposé à la fois d’Hawkwind — le vaisseau spatial rugissant — et de Magma — le Kommandöh de Kobaïens inkörruptibles. Des joyeuses tribulations de nos amis sur la planète Gong naîtront trois albums essentiels : Flying Teapot, Angel’s Egg et You, où tout le talent de ces doux dingues se déploie dans de grandes envolées lyrico-mystico-humoristiques, certes peut-être datées à l’heure actuelle mais qui offrent un bel aperçu de l’humeur des « babas cools » de l’époque. Car ils étaient dans la vie comme dans leur musique, tout aussi « Pothead Pixies », je le sais pour les avoir quelque peu fréquentés jusqu’à leur split en 1977 lors d’un dernier, très long et mémorable concert à Paris. En fait, Gong n’est pas mort, il vit toujours, mais comme pour Hawkwind, après le personnel a changé, la musique et les sources d’inspiration aussi, et les mœurs également.

Notons pour l’anecdote qu’après le split du Gong originel, Steve Hillage a commis quelques albums solo où l’on trouve encore par-ci par-là des références SF (« U.F.O. Over Paris ») avant de se mettre à produire des groupes africains, et Tim Blake a sorti deux albums — Crystal Machine et New Jerusalem, plus mystiques que SF à mon avis, mais il a innové en introduisant pour la première fois des lasers en concert — avant d’aller rejoindre… Hawkwind. Le monde est petit, quand même.

Les longues envolées du « prog rock »

Hormis ces trois groupes-là, dont l’orientation SF était quasi le fonds de commerce, je me dois de mentionner David Bowie, autre grand fan de SF, surtout dans sa période Ziggy Stardust (et ses Spiders from Mars). Là, Bowie ne s’est pas contenté de citer ou digérer des références, il s’est carrément mis dans la peau d’une rock-star extraterrestre ! Avant, il a sorti Space Oddity (1969, inspiré par 2001, A Space Odyssey — vous notez le jeu de mots ?) et après, Diamond Dogs (1974), qui devait à l’origine s’appeler 1984 — donc inspiré du roman du même titre — mais les ayants-droit d’Orwell s’y sont opposés. Mais bon, tout comme avec Magma, à l’époque je n’accrochais pas trop à Bowie, je n’aimais pas sa voix de crécelle. (Je vais me faire des ennemis, je le sens…)

Citons encore, pour mémoire, ces groupes qui ont donné ses lettres de noblesse à un genre dénommé plus tard « rock progressif » ou « prog rock », composé de longs instrumentaux exécutés par des virtuoses et narrant de longues sagas, tout ça étant très planant ou très chiant selon ses goûts et son humeur, le tout orné de pochettes évocatrices illustrées par Roger Dean (au mieux) ou par vaut-mieux-pas-savoir-qui (au pire) représentant des paysages étranges, extraterrestres ou fantastiques. Yes, bien sûr, culminant avec Tales From Topographic Oceans, une espèce de symphonie mystico-fantasy-SF ; Genesis avec The Lamb Lies Down On Broadway — concept-album conçu par Peter Gabriel sur le thème d’un univers parallèle peuplé de monstres ; les Allemands d’Eloy — nom tiré des sinistres Elois dans La Machine à explorer le temps de H.G. Wells — avec un concept-album, Ocean, revisitant le mythe de l’Atlantide, et Power And The Passion qui raconte un voyage dans le temps ; Alan Parsons Project, les précurseurs du rock FM, avec I Robot, bien sûr inspiré des robots d’Asimov ; et une quantité d’autres, dont Uriah Heep plus nettement orienté fantasy avec The Magician’s Birthday et Demons & Wizards (tous deux de 1972) qui ont également eu les honneurs d’une pochette de Roger Dean. Ou encore Van Der Graaf Generator, dont le leader Peter Hamill est un grand fan de SF, dont il glisse des thèmes dans plusieurs morceaux et albums (« Pioneers over c » — « c » étant la vitesse de la lumière —, « Lemmings », sur la surpopulation, « Boat Of Million Years », sur une arche stellaire, ou encore « Still Life » sur l’immortalité…).

Enfin n’oublions pas Blue Öyster Cult, groupe de hard-rock new-yorkais plutôt doué, que j’ai découvert dès leur premier album éponyme en 1972 et qui a versé dans la SF dans quantité d’albums, dont certains écrits par Michaël Moorcock et qui sont encore des séquelles de Corum et d’Elric (« Veteran of the Psychic Wars », « Black Blade »). Malheureusement, là aussi le temps a opéré des ravages, et le Cult d’aujourd’hui n’est plus ce qu’il était, en tout cas j’ai décroché après Fire Of Unknown Origin (1981) contenant justement le fameux « Veterans Of the Psychic Wars » (« Je suis maintenant un vétéran / D’un millier de guerres psychiques / Je suis resté trop longtemps sur la Bordure / Là où rugissent les vents des limbes… »)

En France, ces années-là ont vu se mettre en orbite divers projets plus ou moins orientés SF, notamment chez les groupes de rock progressif avec (entre autres) Pulsar — très influencé par Pink Floyd et King Crimson — avec Pollen en 1975 et ses ondes cosmiques et The strands of the future l’année suivante, Clearlight avec Clearlight Symphony (1975) et surtout Visions (1978) avec « Au royaume des mutants » (un satellite de la planète Gong en fait, d’inspiration qu’on qualifierait aujourd’hui de New Age), Ange avec sa « Ballade du sucre » (« C’était en 2015 / Il n’y avait plus de sucre / La terre n’en donnait plus… ») dans Au-delà du délire, et bien sûr Jean-Michel Jarre et sa harpe-laser, avec Oxygène (1976) et Équinoxe (1978), auquel je n’adhérais pas trop car ça me paraissait être du sous-Tangerine Dream, et à l’époque, quand on était branché planant, il fallait écouter allemand. Mais le vrai précurseur en France a été Gérard Manset, qui a produit dès 1970 une œuvre majeure, quoiqu’assez éloignée du rock : La Mort d’Orion, vaste poème épique et sombre sur la mort d’une civilisation lointaine, dans l’espace et le temps, « Par-delà les grands univers / Où les colonies de la Terre / Prolifèrent / Et dans la grande nébuleuse noire / Dont voici dix mille ans fut l’histoire ». Un pur ovni musical, de nos jours encore.

Au cours des années 1970, même si mes jeunes oreilles avides et pas encore blasées étaient capables de tout écouter, je me suis très vite branché sur ce qui pour moi allait représenter la quintessence musicale de la SF : la découverte en 1973 de Tangerine Dream d’une part, et de Kraftwerk d’autre part. Enfin les machines prenaient le pouvoir et on entrait (me disais-je) de plain-pied dans la science-fiction.

pochette de l'album phaedra de Tangerine Dream

La vague allemande ou l’ascension et la chute du synthétiseur

Avant de découvrir Tangerine Dream, Klaus Schulze, Ash Ra Tempel et toute la tribu des « Cosmic Courriers » (Wallenstein, Guru Guru, Agitation Free, Neu et consorts), mes oreilles fureteuses avaient déjà repéré Amon Düül II et la pochette très psychédélique de Yeti (1970), échangée à l’école contre quelques timbres de ma collection, laquelle m’a beaucoup servi à enrichir ma discothèque, via le club philatéliste du bahut et au grand désespoir de mon grand-père et principal fournisseur, quand il l’a su. Je me souviens qu’à 15 ans, j’avais emmené l’album chez le coiffeur, car je voulais être coiffé exactement comme le gars à la faux sur la pochette…

Malgré des pochettes très délirantes (surtout Yeti et Tanz der Lemminge) et des titres plutôt surréalistes — « Luzifers Ghiliom », « Archangels Thunderbird », « Flesh Coloured Anti-Aircraft Alarm », « Restless Skylight-Transistor-Child », « Chewinggum Telegram », « Sleepwalker’s Timeless Bridge » — malgré un rock lourd, pré-gothique et assez barré dans les improvisations, évoquant parfois Hawkwind en live, Amon Düül II a finalement assez peu contribué à la cause SF, et j’en parle juste parce que je les aimais bien. De même pour Can, malgré des albums titrés Monster Movie (et son méga-robot sur la pochette) ou Future Days et une musique totalement atypique — même encore maintenant, influençant bon nombre d’artistes new wave par la suite —, les références SF n’étaient pas toujours évidentes dans leurs morceaux aux paroles souvent improvisées. Sur scène, ils improvisaient également la musique, impossible de leur demander de jouer leurs albums, il fallait juste se trouver dans un bon jour pour eux, comme j’en ai fait l’expérience lors d’un concert au Bataclan en 1973 ou 74. Peut-on relier des titres comme « Future Days », « Mother Sky », « Chain Reaction » ou « Quantum Physics » à la science-fiction ? Difficile à dire, mais difficile également de passer à côté de ces deux piliers fondateurs du Krautrock allemand.

Et voici qu’en 1974 débarque sur le tourne-disque familial (squatté dans ma chambre) Phaedra de Tangerine Dream. Je ne me souviens plus comment je les ai découverts. Chez un copain, à la radio, à la télé ? Les trois me paraissent improbables, dans le contexte de l’époque. Ou bien suite à un article dans Best ou Rock & Folk que je lisais religieusement ? Plutôt ça en fait. Bref, ça m’a produit le même effet qu’avec Pink Floyd en 1969. Voilà enfin, me disais-je, la bande-son idéale pour lire Frank Herbert ou Cordwainer Smith ! Une musique « cosmique », ultra-planante, faite par des machines ! Pourtant, là encore, peu de références explicites à la SF dans les titres de Tangerine Dream — de longs instrumentaux pour la plupart —, à part peut-être l’album Alpha Centaury (1971) avec « Sunrise In The Third System » et « Fly And Collision of Comas Sola » (quoi que ça puisse vouloir dire). Mais mazette, quelle ambiance ! La musique des sphères était née, et même ma grand-mère adorait (elle était très branchée ovnis).

J’ai rapidement étendu cet univers avec Klaus Schulze, que j’ai préféré à Tangerine Dream pour son ambiance parfois plus humaine et romantique que les froids voyages cosmiques d’Edgar Froese et ses complices. De plus, il me paraissait plus branché SF — quoique ce soit toujours incertain avec des instrumentaux — avec des albums aux illustrations tanguyesques titrés Cyborg (1973), Timewind (1975), Moondawn (1976), Mirage (1977) ou Dune (1979) — musique pressentie pour le fameux film que devait réaliser Alejandro Jodorowski en 1975 d’après la saga de Frank Herbert, lequel fait d’ailleurs l’objet de l’une des six « biographies musicales » de l’album X (1978). Klaus Schulze, c’était un gars tout seul — éventuellement accompagné du batteur Harald Grosskopf, ex-Wallenstein — derrière une montagne de machines, agencées sur scène comme une cabine de vaisseau spatial. Je le sais pour l’avoir vu à l’Olympia en 1976, et ce concert m’a frappé aussi fortement que celui d’Hawkwind l’année précédente. Moins violemment certes — quoique… Quand Klaus Schulze et Harald Grosskopf ont quitté la scène en laissant tout le matos tourner en boucle et le son monter, monter, MONTER, on était plus d’un dans la salle à flipper et à se demander jusqu’où ça irait, et ça m’a rappelé la « Sonic Attack » d’Hawkwind où on en prenait aussi plein les oreilles mais il y avait encore des humains pour contrôler, tandis que là, plus personne, et les synthés qui partaient en vrille… Un pur moment de SF vécu en direct !

Un autre pur moment de SF a été, la même année, le concert de Kraftwerk à l’Olympia également, ou du moins son introduction : les deux premiers morceaux ont été joués par leurs robots… Un grand silence a accueilli la fin du premier, et quelques sifflets timides — voire craintifs — ont salué la fin du deuxième. Quand les quatre gars de Kraftwerk sont enfin arrivés, j’ai nettement perçu comme un grand soulagement parmi le public : non, le temps des androïdes n’était pas encore venu, même si ceux de Kraftwerk rêvaient déjà de moutons radioactifs.

Tout comme Tangerine Dream et Klaus Schulze, les morceaux de Kraftwerk contenaient assez peu de références directes à la SF — à part « Radio-Aktivität » (1975) et l’album Man Machine (1978) avec « Die Roboter », « Die Mensch-Maschine », « Spacelab » et « Metropolis », du film éponyme qui a incontestablement influencé leur look et leur démarche. C’était là que se trouvait « l’esprit » SF : dans le look et la démarche, totalement à l’opposé des voyages cosmiques et visions planantes de Tangerine Dream, Klaus Schulze, Ash Ra Tempel et consorts : Kraftwerk, c’était l’usine, les robots, les machines. Et leurs synthés ne rendaient pas des sons cosmiques, mais industriels. S’ils n’en ont pas été les fondateurs, ils ont en tout cas largement contribué à développer et populariser la future musique industrielle qui envahit aujourd’hui les dancefloors des boîtes branchées.

Poursuivant ma recherche de sons de synthés autres que purement cosmiques et planants, je suis tombé un jour, dans mon petit magasin de disques, sur Electronique Guerilla (1974) d’Heldon, dont j’ignorais tout, mais le titre m’a séduit : ça allait peut-être dépoter un peu plus… C’était fondé par un Français, Richard Pinhas, et un ex-Magma, Klaus Blasquiz, très branché philosophie, citant Nietzsche et Deleuze (lequel déclamait d’ailleurs un texte dans « Le Voyageur ») et surtout très référé à Norman Spinrad, trois morceaux de l’album lui étant dédiés, inspirés du roman Rêve de fer d’où était d’ailleurs tiré le nom du groupe. Lequel Spinrad, ami de Pinhas, a occasionnellement collaboré avec le groupe par la suite. Dans Heldon III — It’s always rock’n’roll (1975), il y a une jolie référence à Philip K. Dick avec « Doctor Bloodmoney », c’est ce qui m’a fait acheter l’album (j’étais déjà dickomaniaque à l’époque), mais je dois avouer que je n’ai guère adhéré à la musique d’Heldon, peut-être un peu trop expérimentale pour moi — Can étant ma limite supportable, pour situer — et j’ai donc lâché l’affaire. Notons quand même que son leader Richard Pinhas a sorti en 1978 Chronolyse, qui est une évidente référence aux trois romans de Michel Jeury Le temps incertain, Les singes du temps et Soleil chaud poisson des profondeurs, et a fondé par la suite le groupe Schizotrope avec… Maurice G. Dantec (et parfois Norman Spinrad).

Mais à part Heldon, tout ça restait finalement assez cool, lisse, planant et gentil, comme une échappée vers un esprit hippie/baba cool déjà en perdition avec l’arrivée des premières crises économiques, une ultime évasion éthérée avant d’affronter la dure réalité quotidienne — qui a brutalement ramené tout le monde sur terre avec le raz-de-marée du punk.

Le punk et la suite : « No Future »… mais on y croit quand même

La culture punk déferle donc sur la vieille Europe, jaillissant à gros bouillons des banlieues anglaises et downtowns américaines, balaie les groupes de prog-rock virtuoses et barrés, les Kosmische allemands et leurs montagnes de matos et les sourires à paillettes du disco, impose ses tenues cradingues, ses beuglements et ses trois accords basiques (parfois deux), parle de défonce, de violence et de mal-être et balance son slogan : « No Future! ». Difficile pour un lecteur et peut-être futur auteur de SF comme moi (j’ai commencé à écrire autre chose que des poèmes d’ado­lescent en 1976) d’y retrouver ses petits et d’adhérer un tant soit peu à cette philosophie. S’en est suivi un moment de désarroi musical dont j’ai émergé en découvrant qu’au sein de cette horde hirsute et braillarde, il y avait de vrais talents, entre autres The Clash (j’ai assisté à un fabuleux concert à Brixton en 1981), Nina Hagen, Siouxsie & the Banshees ou Joy Division, dont le chanteur Ian Curtis, grand fan de Ballard, a écrit « Atrocity Exhibition » d’après son roman La Foire aux Atrocités.

pochette de l'album 2001: A S.P.O.C.K. odyssey de S.P.O.C.K.

Malgré tout, il n’y avait pas grand-chose à se mettre dans l’oreille en matière de musique orientée SF en cette période de fin des années 1970 – début des années 1980. Vangelis a donné le chant du cygne des synthés planants avec la magnifique bande-son du non moins magnifique Blade Runner en 1982, cependant la new wave avait déjà bien décollé et j’ai
sauté dedans à pieds joints. Car le punk était salutaire, certes, mais « No Future » oblige, ça n’a duré qu’un temps et ça ne convenait pas à tout le monde, aussi a-t-on vite retrouvé le sens de la mélodie qui s’incruste, le ton de la ritournelle à reprendre en chœur, et le goût du synthé facile, simplifié et largement démocratisé. Éclot alors un nouvel essaim de groupes essentiels plus ou moins regroupés sous le label « new wave », fort innovants musicalement mais peu en rapport avec le sujet traité ici, donc je n’en parlerai pas (à mon grand regret mais bon…). Tout au plus peut-on repérer quelques traces de SF chez les choucrouteux et sautillants B52’s, les maniérés Duran Duran, les tubesques Human League, Laurie Anderson et son très robotique « O Superman » ou encore Devo qui se demandent s’ils sont bien des hommes, mais à ma connaissance, le premier album vraiment orienté SF depuis Dune de Klaus Schulze en 1979, c’est 1984 d’Eurythmics (1984, évidemment). Cet album devait constituer la bande-son du film du même nom de Michael Radford (avec un sublime John Hurt), mais suite à un désaccord entre le groupe et le réalisateur, Eurythmics a finalement été écarté et n’apparaît plus que « Julia » au générique du film. Dommage, car la bande-son de 1984 (le film), je l’ai complètement oubliée, alors que 1984, l’album, reste gravé dans ma tête, avec entre autres le gros hit « Sexcrime ». Tous les morceaux de l’album se réfèrent directement au roman de George Orwell. Une exception dans la carrière d’Eurythmics, par ailleurs entièrement orientée vers des tubes techno-soul à l’efficacité redoutable.

À part ça, on trouve Sydney bombardée sur la pochette de l’album de Midnight Oil Red Sails In The Sunset (1984) et des allusions à une attaque nucléaire à l’intérieur, un certain nombre de références SF chez Iron Maiden (à Dune notamment avec « To Tame a Land » dans Piece of Mind, 1983) qui culminent dans l’album Somewhere in Time (1986) à la pochette très SF avec un beau méchant alien dessus (et même les membres du groupe ont des véhicules futuristes !) et contient moult chansons orientées sci-fi/horreur, dont « Caught Somewhere in Time » et « Stranger in a Strange Land » (Heinlein ?). À propos d’alien, je ne peux passer à côté du magnifique Surfer d’Argent sur la pochette de Surfing With The Alien, le deuxième album de Joe Satriani (1987). Malheureusement, à part le morceau éponyme et le suivant, « Ice 9 » (tiré du Berceau du chat de Kurt Vonnegut Jr.), les références SF sont bien minces, d’autant plus que les morceaux sont des instrumentaux.

Mais entre-temps était survenue dans mon univers musical une nouvelle double révolution : la découverte en 1986 de First and Last and Always des Sisters of Mercy — piliers fondateurs du rock gothique, bien qu’ils le nient — suivie deux ans plus tard de Front by Front de Front 242, les fondateurs — revendiqués, cette fois — de l’EBM ou Electronic Body Music, de l’électro musclée en somme. Ces deux découvertes allaient conditionner toute mon orientation musicale jusqu’à aujourd’hui. Ceci dit, ces chers Sisters étaient assez peu branchés SF, à part « Black Planet » dans l’album précité (encore une histoire d’holocauste) et « Body Electric », peut-être une référence à Bradbury… Les Belges de Front 242, en revanche, malgré leur électro assez martiale et leur look paramilitaire de l’époque, étaient assez versés dans ce domaine — surtout leur chanteur Jean-Luc de Meyer, sur lequel je reviendrai plus bas — avec pas moins de quatre morceaux dans Official Version (1987) dont le splendide « Quite Unusual », où l’on se réveille un beau matin d’holocauste nucléaire (« La façon dont le jour se lève est assez inhabituelle », susurre le refrain sur un ton pas vraiment affolé), quatre également dans Front by Front (1988) dont la vicieuse invasion d’un corps humain par un méchant parasite sans doute alien dans « Until Death (Us Do Part) » et le méga hit électro, maintes fois repris et remixé mais jamais égalé, qu’est « Headhunter V3.0 », où comment chasser l’humain. Signalons également « Gripped by Fear » dans Tyranny >For You< (1991) sur la chute, justement, d’une tyrannie.

1986, c’est également l’année du premier album des Fields of the Nephilim, Dawnrazor, au titre tout aussi évocateur que la pochette, où on les voit tous les cinq en espèces de cow-boys fantômes sourdant de la brume, avec des yeux lumineux (ambiance reproduite en concert, du reste). Bien que les Fields représentent le nec plus ultra du rock gothique, on va trouver peu de références purement SF dans leur discographie, plutôt branchée ésotérisme (Alesteir Crowley) et mythologie (les Nephilim sont un peuple de géants dans la Bible), ce dernier aspect atteignant son point d’orgue dans Elizium (1990), album presque entièrement voué à Sumer et la mythologie sumérienne. La quintessence des Fields est résumée dans le live ultime Earth Inferno qui reprend dans des versions sublimes tous les meilleurs morceaux du groupe, et où le chasseur de SF pourra peut-être se satisfaire de « Moonchild » et « Psychonaut », voire « Last Exit For The Lost », s’il parvient à déchiffrer les vers pour le moins ésotériques de Carl McCoy.

Signalons pour l’anecdote que Billy Idol, ex-punk peroxydé et faiseur de tubes bien carrés, est tombé dans la soupe cyberpunk le temps d’un album opportunément intitulé Cyberpunk (1993) égrenant tous les poncifs du genre, à commencer par l’acte fondateur, Neuromancien de William Gibson (« Neuromancer », mais aussi « Wasteland », « Shock To The System », « Tomorrow People »… bref, pratiquement tout l’album). C’est également en 1993 que ces autres faiseurs de tubes encore plus (im)mortels que sont U2 sortent Zooropa, album technoïde assez éloigné de leur production coutumière et également inspiré par William Gibson et le cyberpunk. (Et encore Cyberpunx, de Cassandra Complex, sorti en 1989 — décidément, le sieur Gibson aura inspiré du monde !)

De son côté, contribuant généreusement à la cause de la SF cosmique, Mike Oldfield sort en 1994 le très planant The Songs of Distant Earth dont la très belle pochette montre une raie manta planant dans l’espace au large de la Terre… Restons dans l’espace avec les joyeux star-trekkers suédois de S.P.O.C.K. qui, tout au long de leurs six albums de 1993 (Five Year Mission) à 2001 (A S.P.O.C.K. Odyssey) ont voué un culte sans faille à leur série favorite à l’aide d’une technopop sautillante et sans prétention, parfaitement adaptée à ladite série. Et leur label s’appelait Subspace Communications !

Tout ceci nous amène doucement aux années 2000 et à aujourd’hui — en attendant demain…

2000-2012 : La SF fait partie du paysage

À partir des années 2000 — l’ère d’Internet, du numérique, des ordinateurs, des jeux vidéos — la SF se popularise et se répand un peu partout, le plus souvent, hélas, sous sa forme abâtardie « sci-fi », mais donnant également accès à des œuvres de qualité. Elle entre dans les mœurs de tous les jours, par le biais des gadgets, pubs, films, séries télé et jeux vidéos, et s’insère naturellement dans la culture globale des nouvelles générations, y compris en musique. Le synthé est devenu un outil quotidien, souvent couplé à un ordinateur. Il semble que les groupes actuels ne voient plus guère la nécessité de réaliser des albums-concepts orientés SF ou d’avoir le look idoine, ils ont plutôt tendance à saupoudrer leur production de SF au même titre que n’importe quoi d’autre, juste parce que ça fait partie de leur culture générale.

Le choix est vaste et ça prendrait encore des pages de tout vouloir citer, je vais donc tirer quelques pépites plus ou moins au hasard : Tactical Neural Implant (1992) des Canadiens Front Line Assembly, qui récidivent dans la bionique avec Artificial Soldier en 2006, Solaris (1995) des Italiens Kirlian Camera, inspiré par le très beau film de Tarkovski, OK Computer de Radiohead (1997), Homogenic de Björk (1997), Utopia de No One Is Innocent (1997), Mechanical Animals de Marilyn Manson (1998), le sombre et beau « Mankind » dans One of 18 Angels (1998) des darkwaveux Diary of Dreams avec un sample de Dark City d’Alex Proyas, le beau et sombre « Valis » (Siva en français, de Philip K. Dick) dans Wetware de Cassandra Complex (2000), Discovery de Daft Punk et 10 000 Hz Legend de Air, tous deux de 2001, WWIII (pour World War III) de KMFDM (2003), le splendide « B-Mashina » de Laibach dans Wat (2003) sur le départ des derniers survivants d’une Terre agonisante, les Norvégiens survitaminés d’Icon of Coil avec The Soul Is In The Software (2002) et surtout Machines are us (2004) avec le hit « Android » (ils ont également repris le fameux « Headhunter » de Front 242), Labyrinth (2004) de Juno Reactor, reprenant certaines parties de la B.O. de Matrix qu’ils ont composée avec Don Davis, Black Holes and Revelations de Muse (2006), Terminal sidéral (2008) des étranges créatures hybrides mi-humaines mi-animales de Palo Alto, groupe mené par Jacques Barbéri, auteur de SF bien connu chez nous, Cybersex (2009) des électrogoths français Dolls of Pain, qui arrive un peu tard à mon avis, Random Is Resistance de Rotersand (2009), album globalement centré sur une guerre de résistance des humains contre des machines (avec notamment « War On Error », où la guerre a été déclenchée par erreur et le seul moyen de résister, justement, c’est d’être aléatoire : « Random is Resistance »), le magnifique « The Road » de Covenant, directement inspiré du film et/ou du roman éponyme, dans l’album Modern Ruin (2011) — lesquels Covenant ont démarré leur carrière en 1994 avec un album intitulé Dreams of a Cryotank contenant notamment le morceau « Replicant » et la longue pièce « Cryotank Expansion » qui justifie le titre de l’album.

Ça y est, j’en étais sûr que je finirais par partir dans une liste interminable de groupes dont personne n’a jamais entendu parler. Je vais donc m’arrêter ici, et conclure en mentionnant le dernier groupe qui, à ma connaissance, a délibérément choisi la SF comme unique source d’inspiration : il s’agit de 32Crash, groupe formé par Jean-Luc de Meyer de Front 242 et deux lascars du groupe électro belge Implant. Leur premier album en 2007 s’appelait déjà Weird News from an Uncertain Future (« Des nouvelles bizarres d’un avenir incertain ») et le second paru en 2011 s’intitule Y2112Y, se situe donc en 2112 d’un bout à l’autre et traite de divers aspects de la vie à cette époque-là. Le groupe en donne d’ailleurs des nouvelles sur son site www.32crash.com, dont je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelques extraits : « Des millions de protestants s’opposent violemment à la présence de réfugiés aliens sur Terre… Des individus ont pénétré accidentellement dans une porte temporelle et ont été projetés dans le futur/passé… La race alien nomade avancée Ol-Lesar a détruit la planète ZX4 le 14 février, ne laissant aucun survivant humain. Les colons de ZX4 savaient qu’ils ne survivraient pas à l’attaque des Ol-Lesar… La chasse aux robots d’allure humaine illégaux s’intensifie… Des êtres issus d’un univers parallèle ont discrètement pénétré dans le nôtre et pillent nos dimensions à volonté… Le secret de l’invisibilité a été volé lors d’une réunion internationale ultra-secrète et hautement protégée…

Last but not least, comme disent les anglophones, signalons deux groupes qui ont fait de la SF leur mode d’expression principale, à la fois musical et dans la vie : les Autrichiens électropop de mind.in.a.box, dont les 8 albums (depuis 2004) racontent des histoires d’un monde à la Matrix où « les esprits sont emprisonnés et généralement inconscients de leur enfermement » (dixit leur site), où l’on entend la voix suave et vocodée d’une IA qui tente d’empêcher un humain (Black) de s’en échapper. Une série SF en musique, donc. Et les joyeux drilles américains d’Abney Park, qui ont fait du style steampunk leur mode de vie, à bord de leur dirigeable pirate, et le déclinent non seulement en musique, mais aussi en romans, BD, jeux vidéos… le tout en autoproduction, steam­punk oblige !

pochette de l'album Somewhere in Tima d'Iron Maiden

Je ne peux conclure sans citer un coït musico-littéraire que tous les (nombreux) lecteurs des Furtifs ont dû écouter : Entrer dans la couleur, la bande-son du fameux roman d’Alain Damasio mis en musique par Yann Péchin, le guitarise d’Alain Bashung, Hubert-Félix Thiefaine, Brigitte Fontaine et Rachid Taha, entre autres…

Alors finalement, la SF est soluble dans le rock ou pas ? Pas sûr : en tout cas, le cocktail a toujours un goût différent, pour notre plus grand bonheur.

Sources

Laurent Mousson, Soucoupes volantes et disques planants, éditions de la Maison d’Ailleurs, Yverdon-les-Bains (Suisse), 1998.
Et de nombreux sites Internet, dont :

et www.discogs.com pour les références précises des albums cités et des liens vers les sites des groupes.


Article précédemment publié en janvier 2013 dans Bifrost n° 69, mis à jour pour le numéro Spice Opera (Le ventre et l’oreille 2020).