Le clafoutis de ma mère

 In Lavons nos petits plats en famille

Parmi les querelles de clocher, le clafoutis fait (son plat de) résistance ! Texture de pâte un peu fondante comme un flan ou plus consistante comme un gâteau ? Les cerises avec ou sans noyau ? Et d’ailleurs, cerises ou pas cerises, et de quelle variété ? À chacun ses us et coutumes et les noyaux seront bien crachés.

Le clafoutis de ma mère c’est sacré, immuable, intangible, mais sans précision horlogère ou pesée au gramme près. Tout se mesure à la cuillère, ou presque. En tout cas, la consistance se mesure à l’œil, au jugé. La texture est peu ou prou celle d’un flan un peu mou et gorgé de jus du fruit, c’est entendu. En revanche, il n’y a jamais eu que des Montmorency, cette petite rouge franc, du plus éclatant vermillon, bien brillant. Cette petite acidulée qui tranche dans le vif et fait chanter la saveur doucereuse de lait et d’œuf. Cette petite dont le noyau reste sur sa tige quand le fruit est bien mûr.

Mais garder le noyau, impose ma mère, pour cette saveur typée de l’amandon qui diffusera dans le dessert sa chaleur, sa gourmandise. Et le jeu à la dégustation de compter les noyaux restés sur le bord de l’assiette. Qui en aura le plus aura une part supplémentaire !

Cuisson courte à four moyen, le temps de la prise et de la dorure sur le dessus, à peine. À cœur, la pâte est pâle et marbrée de rose, voire de violet. La chimie ne ment pas sur l’acidité et sur cette métamorphose des couleurs. La chimie est une embellie en cuisine.

Le clafoutis de ma mère se dégustait encore tiède ou totalement refroidi, les dimanches de printemps, parfois au jardin, non loin des arbres qui nous avaient prodigué leur production.
Les arbres ont duré un peu après le décès de ma mère, une ou deux années. Puis il sont morts à leur tour. De vieillesse ou de chagrin.

Je me suis rabattue sur les grosses Burlat de mon jardin de Provence, ou à l’occasion sur des griottes qui poussent dans des régions plus reculées et plus fraîches de la Drôme.
La pâte est peu ou prou la même mais il manque l’acidulé et la magie. Il manque la main de ma mère.


Illustration de l’auteur