Les fritons de La Vieille Auberge
Mont Saint-Michel,
31 décembre 15 h 10
Que manger au Mont-Saint-Michel en pleine journée, dans quelles conditions ? Qui s’est déjà posé la question ? Pas nous jusqu’à il y a peu, en tout cas. Et sur place, il n’y a que l’embarras du choix. (Et si vous faites une petite recherche gougueille de votre côté, vous tomberez bien sur la « fameuse omelette de la mère Poulard », qui est sûrement la réponse la plus fréquente à la question posée au-dessus, maintenant qu’on se l’est posée. Quoi manger, ô Saint Miche ?) Pratiquement tous les restos sont remplis à surbloc craquant et proposent un service en continu. Il est sûrement plus facile de manger en milieu d’après-midi qu’à l’heure de pointe du midi, mais même là ce n’est pas forcément gagné. Il y a des files d’attente façon parc d’attractions les jours de vacances. Le service se fait à la chaîne.
Un restaurant implanté dans un haut lieu du tourisme peut subsister indépendamment de la qualité de sa cuisine ou de son service puisque la quasi-totalité de sa clientèle consiste en des consommateurs de passage, masse humaine grouillante sans cesse renouvelée. N’ignorant rien de cet état de fait, nous choisissons La Vieille Auberge pour sa terrasse panoramique plus que pour sa cuisine. Vue sur la baie (enfin, la vue est un peu parasitée par des panneaux appartenant au restaurant) et temps exceptionnel pour un 31 décembre, puisque le thermomètre doit avoisiner les 15 degrés.
Je m’assois à une mauvaise table et le serveur me rappelle énergiquement à l’ordre, pour m’indiquer notre bonne table. Vous voyez bien que celle-ci n’est pas nettoyée, ajoute-t-il. Curieux raisonnement, étant donné le dynamisme du personnel. J’imaginais très bien une zélée serveuse avoir le temps de débarrasser la table en quelques secondes, mais autant ne pas se faire remarquer plus. Joie, il y a une mystérieuse carte « légumes » incluant des frites, entre la ratatouille, les pâtes et le riz. Notons que la portion est à 7 euros tout de même… Le couple à côté de nous mange des moules. Le type fait tomber sa coquille de moule quasiment dans le sac de ma compagne au sol, regarde si on l’a vu, pense que non, et continue à manger comme si de rien n’était. Classique. De mon côté, j’accumule les déconvenues. Je ne peux manger que des pâtes à la sauce tomate nature, alors que le menu propose des pâtes sauce bolognaise. La sauce est faite à l’avance, vous imaginez bien monsieur, on ne peut pas faire maintenant de la sauce sans viande, me dit le serveur questionné sur la possibilité d’une sauce sans viande. La probabilité pour que le cuisinier me prépare la sauce à part était certes faible, mais existait du point de vue théorique, ça arrive dans des restos. Ce n’est pas tout, dans la précipitation je commande du rosé, sans trop savoir pourquoi. Lorsque je veux changer pour du vin rouge, le serveur, encore lui, m’informe que la commande est déjà enregistrée, il me montre une sorte de petite machine, et précise qu’il ne peut plus la modifier. Dommage, surtout que le prix de la bouteille de vin rouge doit équivaloir à celui de la bouteille de rosé, ou de blanc. J’ai aussi l’impression qu’il y a derrière tout ça plutôt une non-envie de changer la commande, plus qu’un réel souci d’ordre technique… Le serveur est néanmoins amical et de bonne composition, compte tenu du contexte. Impossible de le faire parler beaucoup, il s’en tient aux cordialités d’usage. Il apporte nos plats avec le plus grand sérieux et nous souhaite bon appétit. Or il est évident que les frites qui viennent d’être servies ne vont pas faire passer l’amer échec de la sauce sans viande. Pour sept euros, nous sommes loin d’en avoir pour notre argent. La portion, moyenne, est servie dans une assiette creuse à la propreté douteuse. Sans sauce, mais avec sel et poivre à discrétion, à côté de rondelles de pain surgelé. Les frites, probablement elles-mêmes issues d’un congélateur de dimensions qu’on imagine industrielles, sont mi-molles sans que ce soit forcément déplaisant. J’y décèle des traces de persil sec, ce qui n’est pas pour m’enchanter. Visuellement, ce n’est pas si mal : frites dorées qui ont du charme.
Au fur et à mesure de l’après-midi, le soleil disparaît et il fait de plus en plus froid sur la terrasse panoramique de la Vieille Auberge…
Nadège Adam et Yvon Ôboa