Listening & Water

 In Listenings

Écouter l’eau

Ce n’est que de l’eau. Et d’une manière ou d’une autre, nous en reconnaissons toujours le son, même si nous l’entendons à chaque fois différemment. Rien à saisir, comme de la lumière qui glisse à travers nos doigts. Aucun autre son n’incite autant à la rêverie, en particulier de l’eau chutant sous toutes ses formes — de l’eau qui chute du ciel sur les crânes des assoiffés. Dans la douche inévitablement je rêvasse, en un instant, mon esprit plane qui sait où, ailleurs. Je trouve des idées, je fais des connections entre les choses, mes pensées s’animent et éclatent tandis que les gouttelettes tombent régulièrement sur ma tête, mon dos, mes bras. Par moments, j’oublie l’eau ou bien où je suis. Le son est un rideau, un tapis, un écran pour des transports. Je ne me rappelle même pas ce qui m’a amené là. Nous n’y pouvons rien, une sorte de magie s’empare de nous lorsque nous entrons dans la douche.

Ces sautes d’esprit spontanées, ces « rebonds » d’esprit, ne sont pas un simple épiphénomène dû au fait d’être debout tout nu sous la douche, immergé dans le son et l’étreinte tactile de l’eau. Comme un théâtre personnel, cet espace intérieur où l’averse est bien réglée favoriserait semble-t-il l’errance des pensées. Mais la pluie, dans toute sa majesté irrégulière, tombe en tambourinant autour de nous contre d’innombrables surfaces muettes, les faisant sonner fraîchement. Si nous ne sommes pas trop incommodés par le déluge, nous pouvons nous sentir transportés, comme si nous nous promenions à travers une musique que la pluie met en valeur. Le plus beau serait de totalement dépasser ses inhibitions, prendre une chaise, s’asseoir devant la fenêtre et assister au concert. Pourtant, quand tout devient une table d’harmonie vibrant du goutte-à-goutte d’une pluie inépuisable, la meilleure posture d’écoute se trouverait certainement quelque part au milieu de celle-ci. Seuls les auditeurs sérieux pourraient y assister.

À cet égard, je me demande — cela doit exister quelque part — si sous des cieux pluvieux un auditeur sérieux ne s’est jamais donné la peine de faire construire une maison qui pousse au maximum ses propriétés résonantes lorsque la pluie tombe, par l’emploi de diverses matières (bois, peau, verre, métal) et en créant différentes sortes d’aspérités et de déclencheurs, pour que les gouttes puissent faire jouer le bâtiment entier. Ou peut-être serait-il plus sage, dans cette folie, de construire plutôt une chambre ou un cottage dans ce but, afin de pouvoir aussi s’échapper de la maison musicale.

Mais pour suivre un certain fil de pensée (hors de sa voie inachevée), si l’eau tombe et que ce n’est pas de la pluie, que nous ne sommes pas sous la douche, alors ce doit être de la neige. Ce qui m’amène à spéculer, dans l’esprit des inventions inutiles : pourquoi les maisons ne sont-elles pas équipées d’un pommeau de douche qui puisse faire tomber la neige ? Certes il ferait un peu froid là-dessous tout nu, mais, plus important, à quoi ce son ressemblerait-il ? Bien évidemment, ce serait là le domaine de prédilection de l’auditeur soigneux, parce que le tambourin de la neige ne tient pas du tambour, mais d’un toucher plus léger, comme si la gravité arrivait après-coup. Sous le porche, les yeux fermés, il se peut que nous entendions à peine la neige qui tombe dehors. Tip tip tip… ou même pas, ss ss ss… Ce son au seuil de l’ouïe, comme des pas si légers, nous plonge dans sa présence distante. Nous entendons qu’il y a quelque chose, là, — mais qui ne peut être plus silencieux, ni plus lointain. Lorsque nous regardons pour voir les gros flocons qui flottent vers la terre, la vue submergeant l’ouïe, nous devons écouter plus attentivement, chaque flocon portant sa parcelle de silence. Comment est-ce que cela peut être aussi de l’eau ?

Si l’eau est bien une substance qui produit des sons — comme chacun le sait et l’a expérimenté dans bien des situations —, sa capacité à faire des vagues et à clapoter, ou se précipiter à corps perdu, ou couler en ruisselets, cette capacité semble destinée à nous attirer dans son sillage dès que nous sommes assez proche pour l’entendre. Les contours de son chant tantôt décousu tantôt déterminé se font subtilement nôtres, un rythme dans lequel puiser, comme si à un certain niveau, nous adaptions notre respiration à celle d’une force supérieure. Réflexe de notre soif ancienne, nous tendons l’oreille à l’eau sous toutes ses formes. Cette voix, toujours changeante, n’est que le son de son mouvement sur des corps résonants. L’archet de la Terre. Nous nous sommes souvent imaginé entendre de l’eau quelque part, mais lorsque nous le faisons, elle s’infiltre dans notre conscience, glisse sa voix au plus profond de notre oreille. Elle provoque nos rêves, nos terreurs aussi ; nous enchante ou nous endort par ses calmes divertissements.

Le calme, après tout, c’est le cadeau de l’eau. Distrait par sa vocalise, nous oublions comment l’eau sculpte le calme, le délimitant constamment — là, en dehors de ces gargouillements agités, le calme est tout autour. Comme les bords d’un étang ou d’un lac qui lèchent le rivage oisivement, rappel poétique du calme régnant : parce que nous pouvons entendre les mouvements timides de l’eau, les clapotis, nous nous apercevons à quel point nous sommes heureux. L’eau, même en rugissant, rend compte du calme. Au-delà de ses limites sonores, nous restons émerveillés devant le calme qui existe toujours et qui semble juste l’autre côté de l’eau, ce qui pourrait bien nous consoler autant que nous hanter.

Listening and Water

All it is is water.  And somehow we always recognize the sound, though we hear it differently every time.  Nothing to hold onto, like light slipping through our fingers.  No sound is as sure an inducement to reverie, especially falling water in all its forms—water dropping from the sky onto the skulls of the thirsty.  In the shower inevitably I space out, it happens in an instant, my mind goes who knows elsewhere.  I get ideas, I connect things, my thoughts percolate and pop while the spray falls steadily upon my head, my back, my arms.  At moments I forget about water or where I am.  The sound is a curtain, a carpet, a screen for transports.  I don’t even recall what brought me there.  It can’t be helped, some sort of magic stirs about when we step into the shower.

Those spontaneous leaps of mind, those mindsprings, are not just a phenomenon of standing naked under the shower, immersed in its sound and its tactile embrace.  Like a personal theater, that indoor space where the downpour is well regulated would seem to favor wayward thoughts.  But rain, in all its irregular majesty, comes drumming down around us upon countless mute surfaces, sounding them afresh.  If we are not too put out by the deluge we may be transported, as though we were walking through a music brought out by the rain.   Nicest is to skip the discomforts altogether, pull up a seat by the window and attend the concert.  Except, where everything becomes a sounding board to the drops upon drops of inexhaustible rain, the best listening will be had of course somewhere out in the middle of it.  Only serious listeners need apply.

In that regard, I wonder—this must exist somewhere—if in some rainy clime a serious listener ever took the trouble to build a home that maximized its sounding properties when the rain came down, by the use of different materials (wood, skin, glass, metal) and fashioning various kinds of hollows and triggers, so that the drops could play the entire dwelling.  Or maybe it would be wiser, in that madness, just to construct a room or a cottage for such purposes, in order to also be able to escape the musical house.

But to follow a certain train of thought (off its unfinished tracks), if water is coming down and it’s not rain, and you’re not in the shower, then it must be snow.  Which leads me to speculate, in the spirit of useless inventions:  why aren’t homes equipped with an attachment to the shower head from which snow might fall?  Could be a little cold standing there naked, but more importantly, what would it sound like?  Clearly, that is the province of the careful listener, for the drumming of snow is no drumming at all but the lightest touch, as if gravity were an afterthought.  On the porch, eyes closed, we might hardly hear the snow falling outside.  Thip thip thip; or not even; th th th.  That sound at the threshold of hearing, like faint steps, takes us into its distant presence.  We hear something is there—but it couldn’t be quieter, or further away.  When we look to see the fat flakes floating earthward, the sight drowning out the sound, we have to listen harder, each flake carrying its parcel of silence.  Yet how can that be water too?

If water is indeed a sound-making substance—as we know it is and have experienced in many settings—its capacity for waves and sloshing about, or rushing headlong, or trickling in a stream, seems bound to haul us in its wake when we are near enough to hear it.  The contours of its rambling or driven song become subtly our own, a rhythm to draw from, as if on some level we adapt to the breathing of a greater force.  Reflex of our ancient thirst, we listen for water in all its guises.  That voice, ever changing, is but the sound of its movement over resonant bodies.  Earth’s bow.  How often we are led to thinking we hear water somewhere, but when we do it seeps into our consciousness, folds its voice deep within our ear.  It tugs at our dreams, our terrors too; enchants us or puts us to sleep with its quiet amusements.

The quiet, after all, is water’s gift.  Distracted by its vocalizing, we forget how water sculpts away at the quiet, constantly marking it off—there, outside these restless burblings, is quiet all around.  Like the edges of a pond or lake that lap the shore lazily, poetic reminder of the reigning quiet:  because we can hear the water’s shy movements, the edges lapping, we know how much quiet we are blessed with in that moment.  Water, even at a roar, provides an accountability of the quiet.  Beyond its sonic reaches, we are left in awe at the quiet that still exists and seems ever just the other side of the water, which may well comfort us as much as haunt us.


Photo : Emmanuel Desestré