Mafé, yassa et gombo. La cuisine africaine d’Alexandre Bella Ola
Après Cuisine actuelle de l’Afrique Noire, Alexandre Bella Ola récidive. Ce cuisinier originaire du Cameroun, formé un temps auprès de Joël Robuchon, a de la répartie. De son creuset familial, il a rapporté les ingrédients et les tours de main de l’Afrique : Cameroun, bien entendu, mais aussi Sénégal, Togo, Mali, Niger, Nigeria, Bénin, Ghana, Côte d’Ivoire, etc. De son parcours et de sa formation, le chef semble avoir acquis cette aisance et cette inventivité qui font les chefs talentueux.
Transmettre les cuisines de l’Afrique
Comme il le dit lui-même en préambule, la cuisine africaine est méconnue. Elle l’est certainement plus en région qu’en Île-de-France, mais ce n’est qu’une intuition. Et pour plonger dans cet univers culinaire, rien de mieux que de découvrir les produits qui la composent. Le livre est structuré autour des produits phares : arachide, oignon, banane, huile de palme, djansan, gombo, mil jusqu’au bissap. La part belle aux produits salés, l’Afrique ayant pris le goût du sucré assez tardivement, si on en croît l’auteur. La part belle aussi aux techniques ou aux modes d’élaboration : mafé et yassa notamment. Mafé, yassa et gombo. La cuisine africaine d’Alexandre est l’occasion de repenser les arômes et les textures, de jouer avec l’amertume, celle du ndolé par exemple, ou avec la texture redoutée du gombo. Chaque section est ouverte par des anecdotes, sortes de brèves de vie appelées kongossa. Ces moments, superbement illustrés par le photographe Grégoire Kalt (une photographie qui laisse parler la rudesse des produits), donnent tout à tour à entendre les « on-dit », les choix du cuisinier et les souvenirs d’enfance.
Des outils pour découvrir
La cuisine d’Alexandre Bella Ola est une cuisine nomade. Elle est le fruit de traditions séculaires, de transmissions transfrontalières, mais aussi d’échanges avec l’Occident. La mondialisation a commencé il y a bien longtemps dans le domaine de la cuisine, et il est facile aujourd’hui, particulièrement en milieu urbain, de trouver les ingrédients adéquats. Une grande partie des produits frais sont disponibles en France, les autres seront disponibles séchés ou congelés.
Les recettes sont concises et écrites avec un souci de clarté. La plupart des ustensiles sont accessibles au grand public et sont listés en début d’ouvrage. C’est donc avec joie que chacun se lancera dans l’aventure africaine de la cuisine. Et pour ceux qui ont besoin d’une boussole, le livre est également doté d’un index judicieux et composite, mêlant techniques (marinade, cuisson à l’eau), types de plats (dessert, accompagnement) ou encore catégories d’aliments (poisson, viande).
Une histoire, des histoires
Il est temps de revoir notre vision de l’Afrique, une vision largement pétrie de l’imaginaire colonial qui a infusé jusqu’à nous. Il est temps d’en finir avec une Afrique figée dans le temps, ou dans des cycles saisonniers immuables. Il est temps de revoir notre vision manichéenne de la modernité et de la tradition. Alexandre Bella Ola raconte d’ailleurs fort bien les pensées qui traversent ceux qui sont restés quelque part et ceux de la diaspora : ceux qui courent après le changement, les autres qui veulent que rien ne change.
Alexandre Bella Ola nous conte, au fil de ces pages, son histoire de chef, avec discrétion, avec passion surtout. Il revient sur les gestes familiaux qui fabriquent en partie ce que nous sommes. Il offre au lecteur des recettes dans lesquelles l’Europe s’invite à table avec l’Afrique, comme cette blanquette de veau à la togolaise. Il livre aussi et surtout des pans d’histoire. De cette histoire des ingrédients, leurs origines, leur implantation. Au fil des pages, ces indications permettent de prendre conscience de la complexité du paysage culinaire africain, des manières de faire, des traditions familiales, des histoires coloniales qui ont apporté leur lot d’aliments, de la réappropriation, des allers et retours de cette cuisine entre différentes contrées.
En guise de dessert
En somme, Mafé, yassa et gombo. La cuisine africaine d’Alexandre, plus qu’un livre de cuisine, plus qu’un livre de recettes, est une incitation à la générosité, à la curiosité et à l’humilité. À l’humilité parce que toute pratique culturelle est nécessairement redevable à d’autres tout en étant singulière. Curiosité, parce qu’elle est nécessaire pour secouer ses habitudes et dépasser un goût dont on est toujours si sûr. Générosité enfin, car la cuisine n’est rien sans partager, à la maison, ou peut-être dans un des restaurants d’Alexandre Bella Ola [1].
Alexandre Bella Ola, Mafé, yassa et gombo. La cuisine africaine d’Alexandre, Éditions First, Paris, 2020, 160 pages.
[1] Moussa l’Africain, 21 Rue Pierre Lescot, 75001 Paris | www.moussa-lafricain.com & Rios dos Camaraos, 55 Rue Marceau, 93100 Montreuil | www.riodos.com