Quatre poèmes

 In Poésie

1.
Listening to Hal Galpers at the Bonafide

Écouter Hal Galpers au Bonafide
April, 2016 | Avril 2016

There’s no melody he won’t skirt.
When off the charted avenue,

he finds – no, he plots and designs –
architecture with spires and arches
connecting nameless this to
wondrous that
outside the printed bars.

Listening to such originations,
the in-between tunes
on the ends of his fingers,
conceals, for now,
the daily news – discordances,
filth and shame – and reveals instead
honey along the ivory keys.

The young players open the second set
led by the sax: “I Cover the Waterfront,”
he plays “I’m watching the sea”
and then reaches for the “starry sky above”
undeterred by Galpers’ substitutions
or where the melody might wander
beyond the club’s protective boundary.

 

***

 

Il n’esquive aucune mélodie.
Lorsqu’en dehors des voies tout tracées
il trouve — non, il projette et invente —
une architecture de flèches et d’arches
connectant tel innommé à
tel merveilleux ailleurs
hors des barres des partitions.

Si on écoute ces créations,
les airs intermédiaires
au bout de ses doigts,
cachent, pour l’instant,
les nouvelles du jour  – discordances,
obscénité, disgrâce  – révélant à la place
le miel s’écoulant des touches d’ivoire.

Les jeunes joueurs ouvrent le deuxième set
mené par le sax : « I cover the waterfront »
il joue « je regarde la mer »
puis atteint le « ciel étoilé là-haut »
inébranlé par les substitutions de Galpers
ou lorsque  la mélodie pourrait flâner
par-delà la frontière protectrice du club.

 

 

2.
For John Hicks

Pour John Hicks
December 21, 1941 – May 10, 2006 | 21 décembre 1941 – 10 mai 2006

Who are these people
who come to my table,
the food lean,
the beverage low in the glass?

They are seated now
annoying my time,
soiling the cloth, bending the utensils
chewing the ears off the plates.

One asks:
“what’s that tune you’re humming
by Benny Golson?”
“Domingo.” It’s the talk at the table
that makes me miss it off the radio —
“Domingo”:
If anything swings,
it’s Domingo
played by John Hicks.

 

***

 

Qui sont ces gens
qui viennent à ma table,
avec la  maigre chère,
le verre à demi-plein ?

Ils sont assis maintenant
ils me cassent les pieds,
souillent la nappe, plient les couverts
mâchent l’oreille des assiettes.

L’un demande :
« Quel est cet air de Benny Golwon
que vous fredonnez ? »
« Domingo. » C’est de ça qu’on parle à table
et comme ça je le rate à la radio…
« Domingo » :
Quand ça swingue,
c’est Domingo
joué par John Hicks.

 

 

3.
The Farewell Trio on Tuesdays

Le Trio d’adieu des mardis

The gate was slim,
but for one devoté — also slim —
sitting up front and still,
while the staff — short-handed this night —
shifted about — adjusting the lights and sound.

Farewell — a fare-thee-well to see through.
The come-on was a ploy from the start,
a practiced kiss goodbye,
never to be tossed — the trio says —
as they mount the bandstand.

John adjusts his seat, focuses and hits a G7;
Wilber’s bass is up-right, while Billy
brushes the drums maybe twice –
and John’s right hand introduces,
“Detour Ahead” in C minor.

If this music – earth born and heaven sent –
should ever be a final performance,
make the minutes so fractioned
that they swell with silver and fill with gold
into channels of forever.

 

***

 

Le passage était étroit,
juste pour un fan — mince lui aussi —
assis devant et immobile,
tandis que le personnel — peu nombreux cette nuit-là —
se déplaçait — réglant les lumières et le son.

Adieu — un adieu cousu de fil blanc.
L’entrée en scène était une feinte dès le début,
un baiser d’adieu bien rodé,
à ne pas balancer — dit le trio —
tout en installant le podium.

John ajuste son siège, se concentre et frappe un accord de sol 7 ;
La basse de Wilber est à droite, tandis que Billy
balaie la batterie, deux fois peut-être
et la main droite de John introduit,
« Detour ahead » en ut mineur.

Si cette musique — née de la terre et reçue du ciel —
devait jamais être une dernière performance,
que les minutes soient fractionnées au point
de se gonfler d’argent et de se remplir d’or
dans des chaînes d’à jamais.

 

 

4.
Cooking

Cuisine

So far, we’ve not been together
long enough
for the distant bell’s ringing
to thin in the wind
or become tangled filament
in memory’s wild hair.

So far, it takes a year or more
for the sheep to fatten,
meat to be sliced,
placed on the plate, eaten,
and the gravy savored.

As our meal baked,
we talked, basted and added spices.
The wait felt less heavy
than lint on a blind man’s coat.
The wrinkles and portents
slept in the shadows, were miniscule.

So far neither of us have thighs
that are shudder-proof
or wise to the number of days
allowed in the arc of
what we’ve built
in this year of our allowance.

Thus far, our lamps’ red wicks
burn on two flames;
slowly they go down
leaving the scent of paraffin
as the sparks flicker
and still manage to glow.

 

***

 

Pour l’instant, nous n’avons pas été ensemble
assez longtemps
pour que le son de la cloche lointaine
s’évanouisse dans le vent
ou devienne filament mêlé
à la chevelure enchevêtrée de la mémoire.

Pour l’instant, il faut un an ou davantage
pour que les moutons engraissent,
soient viande à découper,
posée sur l’assiette, mangée,
et la sauce savourée.

Tandis que cuisait notre repas,
nous avons parlé, arrosant et épiçant la viande.
L’attente pesait moins
que des peluches sur le manteau d’un aveugle.
Les rides et présages
dormaient dans l’ombre, étaient minuscules.

Pour l’instant aucun de nous n’a de cuisses
résistant aux frissons
ou sages par rapport au nombre de jours
concédés dans l’arc de
ce que nous avons construit
en cette année de notre assignation.

Jusqu’ici, les mèches rouges de nos lampes
brûlent sur deux flammes ;
lentement elles déclinent
livrant l’odeur de paraffine
tandis que vacillent les étincelles
qui brillent pourtant encore.


Traduction : Marilyne Bertoncini
Photographies : Pierre Virol