Quatre « Quiet men » au studio de l’Ermitage

 In Scénopathie

Un voyage divers, entre poésie, humour et tendresse

Pas toujours vraiment tranquilles, ces quatre « quiet men », mais toujours habités par le plaisir de jouer (d’être, seulement) ensemble. Ils se parlent, se prennent ou se laissent la parole toujours avec attention, se mettant mutuellement en valeur ; ils sont parfois seul, à deux, trois ou quatre et les compositions s’enchaînent, entrecoupées par quelques paroles volontiers légères mais dans lesquelles transparaissent – légèrement, comme sans s’en apercevoir – le sérieux de l’art même.

La formation est curieuse, étonnante combinaison de souffle (les clarinettes contralto et basse de Denis Colin), de cordes (celles, le plus souvent frottées de l’arpeggione joué par Simon Drappier et celles, pincées de la guitare de Julien Omé) et de percussion (ici, le zarb de Pablo Cueco). Étonnante parce que l’association convoque des temporalités et des esthétiques plurielles. La musique d’avant-garde dans laquelle les clarinettes graves ont plus souvent la part belle que dans les musiques plus « classiques » en est une. L’arpeggione, qui évoque le violoncelle, son ancêtre la viole, et la guitare a fait long feu, désormais surtout connu pour une sonate composée par Franz Schubert et désormais jouée le plus souvent au violoncelle ou à l’alto ; il témoigne ici d’une esthétique à mi-chemin entre classicisme et pré-romantisme. La guitare, comme le zarb, s’accommodent finalement de quantité de styles et de genres différents… et ces styles et genres différents sont bien la signature du quatuor.

Les Quiet men au studio de l’Ermitage : photographie Bruno Charavet

Les compositions – si tous les membres du quatuor sont tour à tour auteurs, les arrangements sont le fruit d’un travail collectif – témoignent d’inspirations diverses sans jamais se départir d’une absolue originalité. Ce sont des jeux sur des phrases mélodiques et rythmiques obstinées (Night is over), des intervalles augmentés évoquant les échelles orientales, les bariolages caractéristiques de cordes issus des techniques de jeu baroque, les mélopées tristes parlant le langage des musiques du sud de l’Amérique (Milonga desigual)… On entend furtivement une danse bretonne mêlée d’orient (Gavotte sans retour), on rêve d’Ingres (Turkish women at the bath), on sourit à l’évocation – avec une tendresse un rien iconoclaste – de Pierre Boulez (Hommage au désert) … Les séries TV et les biopics improbables – jamais tournés, pour notre plus grand bonheur, dira Pablo – servent de prétexte amusé à démythification… Les musiciens sortent parfois de l’univers convenu de leur instrument : jeu sur le souffle, arpeggione traité à la manière de la guitare qu’il voulait être tout en ne l’étant pas, guitare percussive… Les relais entre modes de jeux et prises de paroles se font comme en catimini, sans en avoir l’air : on glisse progressivement d’une section à l’autre de l’histoire – sans paroles mais avec une vivacité qui vous accroche pour ne plus vous lâcher – et on se retrouve, l’air de rien, dans un autre monde, celui d’une musique absolument poétique, résolument vivante, dans laquelle chacun a sa place, lyrique, émouvante, virtuose (quelques solos à couper le souffle, notamment au zarb dans Hommage au désert). Différente, pour notre plus grand plaisir.

Quiet men au studio de l’Ermitage (8, rue de l’Ermitage, 75020 Paris), jeudi 9 mai 2019

Quiet men est aussi un CD (Tac/Faubourg du monde), qu’on se le dise !


Photographie principale : Milomir Kovačević