Sam était mort
j’allais bien ce jour-là, c’était curieux…
quelque part, je sais pas trop où
entre le footing le boulot
et le toboggan pour la gosse
j’ai débarqué pour des mezzés
boulevard de la libération
Sam était mort
une brique sur le crâne
comment ? pardon ?
vous dites, Madame ?
c’est interdit !
et impossible d’abord !
je manifeste !
il est allé faire du camping à la Grande-Motte
ou il a chopé une sale grippe
deux jours au pieu et il revient
nous concocter sa moussaka fameuse !
vous savez : celle qu’il sert accompagnée
de son riz d’exception aux vermicelles…
non, Monsieur
il est mort
on l’a enterré y a deux mois
mais le restaurant continue
ne vous inquiétez pas
vous pouvez commander
comme avant falafels
houmous grillades
et poulet chich taouk
un cousin a pris la relève
c’est du pareil au même
bordel de merde
je courais plus soudain
j’adhérais trop aux trottoirs sales
en faisant style de ne pas voir
dans les vitrines
ma gueule maussade
Sam le cuistot génial
est parti sans me dire au revoir
ou c’est l’inverse
c’est peut-être moi
je me suis perdu en footings
au lieu de penser à des choses
sérieuses
un chapitre manque
un trou nerveux dans la chronologie
je me rappelle ce jour de juin
où il nous avait offert les gâteaux
en nous félicitant pour l’enfant à venir
ce type sait vivre, on s’était dit
en dégustant de savoureux
baklavas aux pistaches
on était allés faire l’amour
sans tarder
sur du jazz
aujourd’hui
c’est un vrai carnage dans son pays
la gamine fait du toboggan sans mon aide
depuis hier
et les plateaux de mezzés sont déserts
il leur manque Sam
même si le caviar d’aubergine
du cousin est meilleur,
a dit ma femme
ce poème contient un mensonge
Ce texte est extrait du recueil Soleil plouc, Le Pédalo Ivre ; collection poésie, Lyon, 2018, 80 p. La rédaction remercie Frédérick Houdaer pour avoir permis cette publication.
Illustration : Louis Hansel.